De colon à cultivateur prospère : Damasse Bégin (1e partie)

De colon à cultivateur prospère : Damasse Bégin (1e partie)

mer, 01/12/2021 - 08:59
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Par une claire matinée de mi-septembre, alors que le soleil rend plus prononcé, au milieu des résineux, le jaune des trembles dorés par les gelées de la fin d’été, un chaland, chargé à plein bord, descend paresseusement la rivière La Sarre, naguère encore la « White Fish », du nom du poisson qui y foisonne.

Xavier Couillard, fils d’un pionnier de Palmarolle, est à la gouverne de son transport. Il a le visage épanoui, le nautonier, car il conduit une nouvelle famille dans son canton; elle s’ajoutera aux trois ou quatre qui y vivent déjà.

On est peu loquace à bord pourtant: le bruit plus ou moins régulier du moteur est à peu près seul à rompre le silence de la grande nature dans laquelle, à chaque seconde, la barque enfonce un peu davantage ses cinq occupants.

A la poupe, à côté du batelier, se tient, droit comme un I, un grand gaillard à l’air résolu et dans la force de l’âge. Au fait, il n’est pas inconnu dans la région, celui-là: il y rôde depuis une quinzaine déjà. L’on a appris ainsi qu’il a quitté sa paroisse de Ste-Germaine de Dorchester avec l’intention de s’établir dans le canton Palmarolle nouvellement ouvert. L’homme est sérieux car il a acheté deux lots; et voici que s’amènent quelques-uns de ses enfants avec ses biens meubles.

Tout près de lui, chaudement vêtue, car l’air est « frisquet », assise sur un coffre, une jeune fille a les yeux rivés sur le sillage peu prononcé que le chaland laisse traîner derrière lui. Elle a un peu le vague à l’âme, la jeune fille, mais ses yeux bleus dénotent une âme énergique.

Le batelier aussi se prend à rêver. Il regarde à la dérobée la voyageuse.        mais à quoi rêve-t-il au juste? C’est que les « criatures » n’abondent pas au canton Palmarolle: un jour prochain, celle-là pensera à se marier . . .

À la proue, deux jeunes gens qui se ressemblent comme deux frères jumeaux se tiennent assis côte à côte. Pas de doute: ceux-là aussi sont les enfants de l’homme voisin du nautonier. Celui qui aujourd’hui connaît quelque peu l’histoire de l’Abitibi, et de Palmarolle en particulier, a tôt reconnu dans les nouveaux venus : la famille de Damase Bégin, ce colon qui en 1921 s’établissait dans la future paroisse de Notre-Dame et qui, un quart de siècle plus tard, sera le seul survivant des tout-débuts à y cultiver la terre: les autres seront ou morts ou partis ailleurs, tandis que certains se seront employés à d’autres tâches, tel Héras Richard qui a toujours exploité une scierie.

C’est à la fin d’août que l’on a vu pour la première fois Damase Bégin dans l’ouest abitibien. Il arrivait alors de Hearst où, sur le conseil du missionnaire-abbé Philibert Grondin, il s’y était rendu avec l’intention de s’établir. L’aspirant-colon s’était trouvé dépaysé dans l’Ontario-Nord et n’y avait pas découvert d’ailleurs ce qu’il désirait; pas plus que ne l’avait satisfait la visite qu’il avait faite précédemment dans la région gaspésienne de Ste-Anne-des- Monts. Dans son voyage à Hearst notre homme était accompagné de huit coparoissiens de Dorchester. Tous rebroussèrent chemin. Seul, Damase Bégin, à la suite d’une conversation dans les chars avec un compagnon de banquette, résolut de piquer une pointe en Abitibi. Bien lui en prit: il trouva dans Palmarolle de quoi réaliser ses rêves de défricheur.

Comme il fait avec quelques-uns de ses enfants par cette mi-septembre, M. Bégin a alors descendu la rivière La Sarre, franchi une partie du lac Abitibi puis remonté la rivière Dagenais. À environ quatre milles de la gueule de ce cours d’eau, il a trouvé les lots qui lui conviennent pour lui-même et pour les fils qu’il aura à établir plus tard. Le nouveau venu a tôt fait de décider. Ses deux lots achetés, il revient à Ste-Germaine de Dorchester et fait part à sa femme de ses faits et gestes. Marie-Anne Turmel est courageuse: il ne lui vient même pas à l’idée de tenter de dissuader son homme.

D’ailleurs, à la tête d’une famille de douze enfants, dont seuls les deux ainés sont établis, on n’a pas le choix. Le couple décide de vendre dans la semaine même tout ce dont il n’aura pas besoin ou ce qu’il est impossible de songer à transporter en pays neuf. L’encan fait, il restera tout de même, en plus du cheval, assez de mobilier et d’instruments aratoires pour remplir un wagon.

À suivre.