Les dîners à l’école d’antan

Les dîners à l’école d’antan

dim, 30/10/2022 - 09:18
Posted in:
1 comment

Aujourd’hui, il y a le Club des petits déjeuners, le repas à 1$ pour les plus défavorisés ainsi que « Place au lunch » notamment au Témiscamingue. Et pour les plus fortunés, il y a la cafétéria. En 2022 au Québec, aucun enfant à l’école ne devrait passer la journée le ventre vide.

Dans les années ’50, quand je fréquentais l’école du rang, tous les élèves allaient dîner à la maison, les plus éloignés ayant près d’un mille à parcourir. Oh! il était frugal chez-nous ce dîner. Une soupe ou un gruau, accompagné d’une tranche de pain, consistait notre menu et nous supposions que tous les enfants du rang mangeaient la même chose.

Un jour, devant la pénurie d’enseignants dans les contrées éloignées, on décida de fermer l’école du rang et de transférer les élèves à celle du village, quelques milles plus loin. Dès lors, il fallut un transporteur pour la vingtaine d’enfants de la 1e à la 7e année. Pour les parents, il fallut prévoir les lunchs du midi pour chacun. Dans les grosses familles comme la mienne, c’était, pour la mère, une tâche supplémentaire qui s’ajoutait à toutes les autres. Par conséquent, maman terminait ses journées au milieu de la nuit en confectionnant un sandwich pour chacun des huit marmots qui fréquentaient dorénavant l’école du village. Le menu était invariable : deux tranches de pain-fesse enveloppant le baloné-fromage.

Au début, je considérais ce dîner à l’école (on mangeait à nos pupitres) à l’image des deux ou trois joyeux piqueniques que maman organisait à chaque été.  Mais très tôt, je dus me rendre à l’évidence que certains avaient le piquenique pas mal plus copieux que nous. Entre autres une fille de mon âge qui avait droit à un Coke et une barre de chocolat Oh Henry à chaque midi. Et il y avait l’élite du village qui se vantait de dîners soupe-viande-dessert.

Moi qui n’avait, à 14 ans, encore jamais pu goûter ce Coke tant envié parce que trop onéreux pour nos moyens, je commençai à comprendre ce qu’était l’échelle sociale. C’est à ce moment qu’a commencé à se créer une distance entre moi et ceux de l’échelon supérieur, d’autant plus que certains élèves du centre du village regardaient parfois de haut ceux des rangs. Pour l’ado que j’étais, il y avait de l’envie certes mais surtout de la gêne. Avant d’arriver au village, le mot pauvreté ne voulait rien dire pour moi. Dans le rang 10, nous semblions tous pareils. Mais après quelques mois au village, je compris que je n’étais pas dans la même case que certains autres.

À l’inverse, je découvris que d’autres étaient plus pauvres que nous. Il y avait ces enfants qui, comme lunch, n’avaient qu’une tranche de pain enduite de graisse ou de moutarde qu’ils avaient, avant de prendre le bus, tournée sur le rond de poêle chauffé à blanc et enveloppée dans la gazette (l’Action catholique). On pouvait presque lire le journal imprimé sur la tranche de pain…

Et cette autre famille, nombreuse, qui marchait presqu’un mille pour aller dîner à la maison. Nous apprîmes plus tard, par la bouche même de l’une des filles, qu’ils n’avaient rien à manger à la maison mais que leurs parents les obligeaient à faire ce trajet pour camoufler leur indigence. Triste! Pour moi cela a été très tôt une leçon d’empathie qui a influencé ma conscience sociale.

Un souvenir cocasse me revient à l’esprit : dans ces années de primaire au village, un gars se vantait de déjeuner chaque matin aux céréales en boite appelées Corn Flakes pendant que nous on devait se contenter de gruau. Au début des années ’70, un organisme de protection des consommateurs affirma, après étude, que dans le cas du Corn Flakes la boite était plus nourrissante que son contenu. Ça m’a réconcilié avec le gruau...