L’histoire méconnue du p’tit rang huit (suite et fin)

L’histoire méconnue du p’tit rang huit (suite et fin)

dim, 30/05/2021 - 14:19
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« C’est toujours le même problème, les gens du village sont tous contre nous », raconte Roger Caron dans son autobiographie.

Le jeune Conseil municipal, en fonction depuis le 14 avril 1930, convoque trois assemblées dans le même mois. Les colons du p’tit rang huit veulent faire valoir leurs droits et s’organisent pour amener du monde aux réunions.  Napoléon Caron marche neuf milles aller-retour pour aller porter un avis à monsieur Mailhot dans le rang 7. Son fils Roger se tape dix milles pour aviser monsieur Demontigny au bord de la rivière au rang 10, puis un autre six milles pour Moïse Gauthier au rang 9. Ensuite, il se rend chez Odilon Bédard au rang 4, un autre six milles, et ce sans compter le porte à porte au village.

L’assemblée a lieu chez monsieur Brousseau. Elle est mal dirigée par le maire. Par conséquent, tout le monde parle ensemble et se chicane. « Dans tout ce brouhaha, raconte Roger, il aurait été possible pour les conseillers de passer des résolutions qui seraient passées inaperçues. Pire que dans le temps de Séraphin ».

Toujours la même histoire. Les colons du rang 8 se font traiter de bons à rien. Le Conseil passe une résolution obligeant ces derniers à installer une affiche où il serait écrit « Chemin privé ». Une autre résolution les oblige à poser une barrière à l’entrée du rang.

Napoléon décide de rire d’eux. Il construit une barrière de deux pieds de haut sur quatre pieds de large. L’affiche, quant à elle, fait deux sur deux sur laquelle est écrit « Jeune barrière de jeune Conseil de Palmarolle ». Étant tout près de la grand-route, tous les passants voient ça. Pour éviter la risée, le Conseil a finalement placé lui-même une pancarte où il avait écrit : « Chemin privé ».

Monsieur Bégin « Jos la Palette » est allé pendant la nuit prendre la pancarte « Chemin privé » et l’a posé là où la gang du village voulait un chemin au bord de la rivière. Parait qu’ils furent très fâchés mais personne ne se douta que le coupable était Jos la Palette.

À toutes les réunions du Conseil, la chicane se poursuit. Certes ce n’est pas drôle mais le bon côté, c’est que de plus en plus de gens sont pour le p’tit huit au fur et à mesure qu’ils sont mieux renseignés.

Le 5 mai 1937 survient un événement inoubliable pour Napoléon et les colons du p’tit huit. Après treize longues années de tergiversations et grâce enfin à l’appui d’une bonne partie de la population, le Conseil municipal décide de recommander au gouvernement le chemin du p’tit huit.

En outre, lors de sa visite paroissiale pour collecter la dîme, monseigneur Halde s’arrête chez Napoléon. Ce dernier veut lui donner dix dollars. Le curé refuse et lui dit : « Tu ne me dois rien. Tu sais des fois on fait des choses et on se trompe. Je veux te dire que pour le chemin du p’tit huit, je me suis trompé et tu avais raison ».

Et le dimanche suivant, dans son sermon, il fait allusion au p’tit rang huit en disant qu’il est toujours possible de se tromper.

Par la suite, le gouvernement paye le travail que les colons avaient fait eux-mêmes. Et par après, les travaux se poursuivent et on épand du gravier.

« L’affaire est classée, quel bonheur! conclue Roger Caron. On peut dire que ça prenait une tête dure comme Napoléon pour se battre aussi longtemps pour défendre ses convictions. Il y croyait à son petit chemin ».

La persévérance et l’opiniâtreté des premiers occupants du p’tit rang huit auront eu raison de l’entêtement et de la mauvaise foi des élites du village. Les occupants d’aujourd’hui leur doivent une fière chandelle.