1931, Jos Côté, pionnier de Palmarolle

1931, Jos Côté, pionnier de Palmarolle

jeu, 17/01/2019 - 08:24
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Que de fois n'avons-nous pas entendu dire, par des gens sincères mais moins au fait qu'ils le croient de notre situation démographique et de nos besoins économiques: il ne faut pas pousser trop vite la prise des terres nouvelles, ça coûte trop cher, il vaudrait mieux remplir les cadres, boucher les vides dans les vieilles et les moins vieilles paroisses.

Ceux qui portent une attention plus spéciale au problème de l'établissement savent qu'il ne devrait pas en être ainsi.

Tout d'abord, ces fameux vides, de quoi sont-ils faits?

De fermes abandonnées parce que les propriétaires étaient trop endettés, de fermes ruinées, à l'humus disparu par une trop longue suite d'années de mauvaise culture et d'entretien défectueux.

Dans l'un ou l'autre de ces cas une famille pas riche ne peut acheter une telle ferme sans risquer de la laisser avant longtemps, à son tour, dans un état souvent pis que celui où la famille l'a prise. Et quand cela s'est renouvelé trois ou quatre fois, cette ferme n'est guère enviable. N'est-ce pas là la condition dans laquelle se trouvent la plupart des fermes abandonnées du Québec?

Et ces fermes quittées parce que le propriétaire était trop endetté, la famille pas riche qui la reprend doit en assumer la dette, du moins la plus grande partie; parce que celui ou, ceux qui ont des créances ou des hypothèques ne sont pas pressés de donner une remise des sommes dues pour les beaux yeux d'une famille étrangère, fut-elle pauvre.

Est-ce à dire que ces fermes sont condamnées à rester inoccupées pour toujours?

Non. Mais le sens commun veut qu'elles soient achetées par des gens qui ont le moyen de les payer et de les réparer. De fait, dans presque tous les cas, les bâtiments de ces fermes abandonnées doivent être réparés, dépense de quelques centaines, quelques milliers de dollars parfois. Et il reste que sur une ferme aux trois quarts défrichée il faut en arrivant des chevaux, des vaches, des instruments aratoires, tout un roulant d'une valeur d'au moins douze cents à trois mille dollars.

D'ailleurs il est bon qu'il y ait des vides dans chacune de nos paroisses, afin de donner une chance à ceux qui ont des économies et des enfants, qu'ils veulent établir près d'eux, de pouvoir ainsi placer ces enfants.

Demandez à Joe Côté, de Palmarolle, en Abitibi, ce qu' il en pense. C'est un homme d'expérience, et vous ne pourriez mettre en doute la sincérité de son témoignage.

Joe Côté sait parce qu'il vient de la ville, qu'il avait auparavant acheté l'une de ces fermes abandonnées dans une vieille paroisse, et qu'il n'était pas sans connaître la culture, ayant été élevé sur une ferme, d'où il était parti avec assez d'argent pour faire un paiement substantiel sur la ferme qu'il achetait.

Ce qu'il travailla sur cette ferme où il aurait voulu passer le reste de ses jours, car ceux qui ont visité le lac Témiscouata savent jusqu'à quel point ce pays est attirant.

Un jour, cependant, il devait tout abandonner, plus pauvre, beaucoup plus pauvre qu'à l'arrivée, et partir pour la ville industrielle, qu'il n'aimait pas et que ses enfants détestaient. C'est pourquoi, quelques années plus tard, il décida de repartir pour les pays neufs, tenter de se réétablir sur une ferme.

Mais cela c'est une autre histoire qui mérite d'être racontée, et de l'être par un de ses compagnons de voyage quand il se rendit à Amos, en Abitibi, au printemps de 1931, avec l'intention de s'y établir.

En descendant du train, où il n'avait pas dormi de la nuit, Joe se dirigea vers le bureau de colonisation, situé tout près de la gare. Là, il dut attendre une couple d'heures, car le fonctionnaire qui recevait les arrivants en avait plusieurs à confesser, comme cela lui arrivait chaque jour d'ailleurs.

Grand, droit, les yeux vifs, les cheveux dépeignés, l'air décidé, mais la démarche du laboureur des terres fortes, tel apparut Joe Côté quand il entra au bureau du fonctionnaire en charge du choix des colons pour tout le pays abitibien. Ceux qu'il acceptait pouvaient compter sur un peu d'aide du gouvernement ... parfois, en plus du lopin de terre qu'on leur concédait. Les autres pas.

Tous les jours, de partout, arrivaient des chefs de famille de six, huit ou dix enfants, sans argent, pleins de bonne volonté ... apparente au moins, et déclarant vouloir s'établir sur les terres du gouvernement.

Le fonctionnaire savait d'expérience qu'en dépit de leurs déclarations et de leurs promesses de se tirer d' affaire eux-mêmes, si seulement on voulait leur donner la chance de les laisser s'installer sur un lot du gouvernement, que sept ou huit fois sur dix, au bout de trois mois, parfois plus tôt, ces mêmes gens revenaient demander de quoi se nourrir, se vêtir, en reprochant amèrement au fonctionnaire de les avoir acceptés ... quand ils n'allaient pas jusqu'à le blâmer de les avoir poussés malgré eux au défrichement des terres nouvelles.

Le jour de l'arrivée de Joe Côté, le bureau de colonisation était déjà rempli avant que le train entre en gare.

Quand enfin il put entrer dans le bureau, l'entrevue de Joe avec le fonctionnaire ne fut pas longue.

- Votre nom Monsieur?

- Joseph Côté.

- D'où venez- vous?

- Sherbrooke.

- Marié?

- Oui.

- Des enfants?

- Treize, cinq garçons et huit filles.

- Avez-vous un peu d'argent pour commencer? - Non.

- Que faites-vous à Sherbrooke?

- Ceux des enfants qui sont assez âgés travaillent dans les facteries, mais ça ne paie point; c'est juste pour arriver à vivre. D'ailleurs ce n'est pas notre métier, nous sommes des habitants ...

Le fonctionnaire songea à la situation de cette famille: treize enfants, le père et la mère en plus, ça fait quinze personnes, soit quarante-cinq repas par jour, et pas un sou pour acheter les provisions nécessaires pour commencer le défrichement d'une forêt et la transformer en une ferme; de plus ça a passé par la ville ...

- Mon cher M. Côté, de reprendre le fonctionnaire, je crois que ce que vous auriez de mieux à faire, ce serait de retourner à Sherbrooke et de vous organiser pour vivre là.

- Monsieur, de répondre Joe, interloqué, je suis parti de Sherbrooke pour visiter l'Abitibi en vue de m'établir et je me choisirai une ferme, si le pays vaut quelque chose!

Joe Côté passa la porte, de mauvaise humeur, avec la vivacité de l'homme têtu, décidé de mener une entreprise au bout.

À quelques jours de là, il était au canton Palmarolle, et achetait, en promettant de payer plus tard, un lot avec un commencement de défrichement et une grange non terminée.

Le prix convenu était de mille dollars. Quand on est pauvre, on paie cher, constata Joe.

Il n'y avait pas de maison, pas de labour, et le bois de commerce avait été enlevé de ce lopin de terre pillé. Il ne pouvait pas non plus compter sur les primes de défrichement et de labour, elles avaient été payées par le gouvernement, bien qu'il n'y eut pas ou pratiquement pas de défrichement et pas de labour.

Quand madame Côté et les plus jeunes des enfants purent se rendre sur la propriété acquise à si gros prix, il leur fallut se loger dans un camp ayant servi d'étable pour un chantier, plusieurs années auparavant. Il pleuvait là dedans comme au dehors, les jours de mauvais temps.

On se mit résolument au travail pour construire une maison, commençant par débarrasser le terrain, arracher les souches, creuser une cave. Pour cela c'était facile, ça ne coûtait pas d'argent, pour la maison c'était différent. Il fallait du bois de planche, du bois de charpente, des clous, des bardeaux, des poignées de portes, des fenêtres, des vitres, et ces marchandises ne se donnent pas pour des prières, surtout en pays neuf.

On avait commencé fin de juin. Quatre mois plus tard le carré de la maison était levé, les lambris posés, une couverture garantissait des inondations dans la cuisine, les jours de pluie ... et trente arpents de défrichements étaient faits; on avait en plus creusé un fossé profond, d'un demi-mille de longueur, pour égoutter une partie basse de la ferme.

Et ainsi se termina l'année 1931.

En 1932 les améliorations furent poussées avec vigueur.

L'année 1933 fut désastreuse pour Joe Côté. Il eut une jambe cassée dans un accident. Quatre années durant il traîna la patte, parce que la réduction de la cassure avait été défectueuse, quand encore il pouvait se traîner.

Sur la ferme de Joe Côté, les années passèrent, rapides, en dépit du travail à accomplir, de la difficulté que Joe éprouvait à se traîner la jambe. À 1934 succéda 1935, puis il sembla que les années 1936, et 1937 à 1940 passèrent plus rapidement encore, tant l'établissement des enfants sur des fermes dans le voisinage demandait d'attention, de travaux de toutes sortes ... et d'argent qu'il fallait gagner. Heureusement que sur un terre nouvelle, au contraire de ce qui est nécessaire sur une ferme dans une paroisse des vieux comtés du Québec, on construit les bâtiments de ferme les uns après les autres; et il n'est pas indispensable d'avoir tous les instrument aratoires en même temps, comme dans les vieilles paroisses, et les animaux peuvent être achetés au fur et à mesure que les défrichements s'agrandissent. Sans cela Joe Côté n'eut pu suffire à la tâche.

Et la guerre, la fameuse guerre, causée par le caprice des pays européens à qui il plaît de s'entr'égorger quelques fois à chaque siècle; cette guerre européenne, que nous avons décidé d'arrêter en y participant, comme si c'était nous qui étions responsables des boucheries organisées par des peuples qui, depuis des siècles, ont démontré au monde que ça leur plaît des joutes à coups de canon, puisqu'ils en organisent assez régulièrement; cette guerre, elle vint compliquer la situation du colon aussi bien que de l'agriculteur, en forçant notre jeunesse à déserter les campagnes et à aller les uns participer aux jeux dangereux auxquels s' adonnent les européens, les autres à travailler dans des usines, afin de ruiner plus vite les finances du pays, nous apprennent ceux qui, sans se gêner, nous disent qu'en cela comme en agriculture, nous serions bien avisés de nous mêler de nos affaires.

Elle n'en fut pas moins cause des retards considérables au développement des fermes en pays neuf, chez Joe Côté comme ailleurs.

Pourtant, une visite faite à la ferme de Joe Côté n'en démontre pas moins ce que peut accomplir une famille canadienne quand ses membres veulent, et qu'ils savent vouloir.

Onze ans après l'arrivée de la famille de Joe Côté, des visiteurs arrivent chez lui. Ils trouvent en bonne santé économique ce colon qu'un fonctionnaire gouvernemental refusait ... parce qu'il avait treize enfants et pas d'argent ... qui de ce fait ne pouvait compter sur l'aide gouvernementale ... pas même sur les primes de défrichement... parce qu'elles avaient été payées antérieurement à l'achat de la ferme ... sans que le travail que représentaient ces primes ait été complété.

Les visiteurs doivent se rendre à l'autre bout de la ferme, soit à environ un mille pour rejoindre Joe Côté, en train de moissonner un champ de blé poussé à hauteur d'homme, au pied tellement fourni de trèfle qu'il faut employer la faucheuse au lieu d'utiliser la moissonneuse.

- Bonjour M. Côté! Comment allez- vous? lance l'un des visiteurs.

- Très bien maintenant.

- Vous n'avez pas perdu votre temps, si j'en juge par le travail fait en ces onze dernières années?

- Il fallait bien se dépêcher tout pressait. Si je n'avais pas eu la malchance de me casser une jambe et d'être pratiquement quatre longues années sans travailler, on serait plus avancé.

- Combien avez-vous de terre en culture?

- Le lot où nous sommes est fait en entier, soit cent quinze acres. Sur le lot voisin, où un de mes garçons est établi, quarante acres sont labourées. De l'autre côté de la ligne, réside un autre de mes garçons qui a vingt-cinq acres en culture, et en bonne culture, comme ici.

Les visiteurs se dirigent vers la maison, qui de loin ressemble à une maison de ville; l'intérieur démontre que le souci de la maîtresse de maison c'est d'organiser son logis si bien que ceux qui l'occupent aiment à y séjourner.

- Vous êtes-vous bien ennuyée ici, madame? interroge un des visiteurs, venu de la ville.

- Le premier mois, quand on était forcé de demeurer dans l'ancien camp du lot voisin, qui avait servi d'étable, mais pas depuis. D'ailleurs, nous avons tellement à faire.

- Est-ce que les familles qui viennent s'établir sur des terres neuves peuvent réussir, si elles n'ont pas d'argent?

- On ne pourrait arriver plus pauvre que nous, et cependant voyez ce que nous avons, en onze ans. Et que serait-ce si nous n'avions pas eu de maladie!

Un coup d’œil jeté sur les bâtiments de la ferme, sur ceux des garçons établis dans le voisinage, sur le cheptel, sur les instruments aratoires, prouve aux visiteurs que peu de familles au Québec sont aussi bien établies.

N'est-il pas bon qu'il y ait des trous représentés par des fermes abandonnées dans les paroisses, afin que des familles comme celle de Joe Côté puissent établir tous leurs enfants au pays, dans le voisinage.

Et il reste encore des milliers de familles, des milliers de jeunes gens pour qui Joe Côté est un exemple, mais qui, tout en étant aussi pauvre qu'il l'était en 1931, n'ont pas cependant sa richesse de caractère. À ceux-là aussi il faut des terres. .. et de l'aide.

Les colons comme Joe Côté, ces créateurs d'énergie constructive, ces faiseurs de terre neuve afin d'établir les enfants, donnent à la province de Québec un exemple de vaillance et de persévérance qui console de bien des défections.

Ce sont là les plus intrépides bâtisseurs de pays, et la collectivité canadienne leur doit une dette de reconnaissance.

Source : Ernest Laforce, Bâtisseurs de Pays, Religieux et Laïques, pages 243-253

(Collection Richard Bégin)