Le syndrome de la page blanche

Le syndrome de la page blanche

mar, 01/03/2022 - 07:49
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J'ai, comme vous tous sans doute, été tristement surprise d'apprendre que monsieur André Chrétien avait résolu de cesser de contribuer au contenu du Journal Le Pont de Palmarolle, avouant se retrouver parfois, à l'aube de la tombée, devant la page blanche.

J'ai été d'autant plus troublée, qu'on pouvait à prime abord interpréter la formule, Le Pont perd un pilier, comme l'annonce que le vrai pont de Palmarolle était menacé parce qu'un de ses piliers s'était effondré. C'était un subtil jeu de mots... Le comble, c'était que cette même formule pouvait ultimement laisser entendre que le Vieux grincheux avait, comme on dit, cassé sa pipe. Stratégie efficace pour s'assurer une lecture éditorialiste.

S'il laisse le journal, André Chrétien n'a heureusement pas quitté ce monde. Et quoi qu'il en soit, il s'assure une certaine pérennité en tant qu'auteur. En juin 2020 paraissait NOBLES COLONS, un recueil de contes et légendes comme en fait foi un article du Journal Le Pont de novembre 2020. J'ai d'abord trouvé ce recueil à la bibliothèque Richelieu de La Sarre, puis, l'ayant parcouru, je l'ai, non seulement recommandé aux lecteurs en bibliothèque mais acquis à la Librairie du Nord pour moi-même. Je voulais posséder cet ouvrage plus qu'amusant, voire émouvant, le vrai témoignage d'un passé centenaire que l'histoire pourrait reconnaître comme une ode au courage de cette génération d'hommes et de femmes dont nous sommes issus, tous autant que nous sommes de l'Abitibi!

C'est dans ce recueil de cent treize pages qui ne vous tombera pas des mains que j'ai eu le plaisir de lire une belle légende se rapportant à cette époque du pont en fin de construction enjambant la rivière Duparquet, à la hauteur de Gallichan, au moment où un homme de retour chez lui dans sa Station Wagon s'avise tant bien que mal en pleine nuit, constatant que le tablier du pont n'est pas complété, de vouloir terminer le travail... afin d'être le premier humain libéral à traverser en voiture d'une rive à l'autre, comme un pied de nez aux bleus de Duplessis... Il était question ici de mon oncle Gérard Mainville de Roquemaure et je ne suis pas peu fière de le voir immortalisé dans un contexte imagé où je peux aisément le reconnaître par ses couleurs. Quant à l'auteur, c'est à son style et au plaisir évident qu'il prend à l'écriture qu'on le reconnaît, la légèreté étant palpable aussi, tout du long. Je vous invite à découvrir tout ce captivant recueil.

En effet, écrire procure un plaisir certain et la paix de l'âme aux anxieux. Éventuellement, ceux qui s'aventurent à l'écriture peuvent connaître tôt ou tard le stress du syndrome de la page blanche. Il peut surgir de questions identitaires : Qui suis-je pour croire que ce que je verbalise puisse intéresser quelque lectorat que ce soit? Qu'ai-je encore à dire qui n'a pas déjà été abondamment couvert? Par quelle légitimité me réclamerais-je du privilège d'écrire et d'être lu(e)? Comment juger de la pertinence de mes propos? Etc., etc. Trop de questions bloquent l'inspiration. Le stress peut être un bon moteur. Et l'angle de vue qui apporte un nouvel éclairage, une bonne raison d'aller de l'avant. L'éthique ne muselle personne quand la modération a meilleur goût.

Alors, pour peu que nous soyons lus... ou pas, honorons cet art de l'écriture, aussi modeste soit-il. S'il rejoint quelqu'un dans sa conscience, dans son cœur, dans sa soif de connaissance, dès lors, le but est atteint. D'où qu'il provienne, s'il ouvre une fenêtre nouvelle sur un savoir-faire tombé en désuétude, sur une réalité qui nous échappait jusque-là, sur un art où s'exprime encore la liberté de créer, sur l'espoir d'un monde meilleur, que le propos puisse alors poursuivre, peut-être même nous enrichir, nous éclairer et ultimement échapper à la censure parce qu'il questionne ou simplement parce qu'il témoigne de la dignité de l'homme en quête d'idéal et de poésie.