Dans cette étable...

Dans cette étable...

mer, 05/12/2018 - 08:48
Posted in:
1 comment

J’ai souvent remarqué la lumière si belle des ciels de fin d’année. Cette période où les nuits de 16 heures et les jours de 8 heures nous invitent à l’intériorité. La lumière du soleil a ceci de particulier qu’elle fait le décor à elle seule. Souvent nimbée d’une brume blanche constellée d’étoiles brillantes, elle illustre un astre du jour plus près de l’horizon, timide et lointain. Les matins à l’extérieur sont divins, surtout à la campagne.

C’était dans le temps des Fêtes quand voisin artiste s’est présenté à la fin du train du matin à l’étable où les six chèvres venaient d’être généreusement ravitaillées en foin dans les mangeoires et en eau fraîche dans les chaudières. Il souhaitait se laisser imprégner par l’atmosphère des lieux et retrouver, disait-il, la sérénité de son enfance. Cet artiste avait lui-même grandi chez son grand-père, là où il avait dû passer des heures à l’étable, à observer les animaux paisibles, loin des bruits de la ville. Il voulait être seul.

Il fallait que ce soit petit. Il fallait que ce soit humble et bien vivant. Les grandes étables d’aujourd’hui, toutes de ciment, de cloisons de fer et de grillages, même pleines d’animaux ne lui auraient pas convenu. Il fallait des stalles et des mangeoires de bois, des fenêtres lumineuses à trois points cardinaux sur quatre, du mouvement, une vie de famille, en quelque sorte.

Il faut dire que la petite étable en question était bien vivante et sentait bon. Il y avait là juste assez d’espace pour que le paysan puisse, en trois pas, accéder à chaque chèvre. Collé sur le mur d’entrée, sous la fenêtre sud, il y avait un banc de traite dont on peut dire que l’habitude avait dressé les bêtes à le gravir en quelques secondes, avides qu’elles étaient de retrouver la ration quotidienne de grain, dans une mangeoire intégrée au banc. Dès qu’elle passait la tête, une planche libre à la verticale était destinée à garder la chèvre captive, grâce à un loquet facile, pendant qu’elle lapait le tout en moins de temps qu’il n’en faut pour que le chevrier la traie. Après quoi elle était libérée et connaissait par cœur le chemin pour retrouver sa stalle. Toute l’opération était coordonnée pour faire en sorte de favoriser une certaine efficacité et les animaux collaboraient avec intelligence au point de se manifester quand leur tour venait de monter sur le banc. Le rendement était à l’avenant et le produit de la traite pouvait devenir un bon fromage. Donnant donnant. Un produit du terroir en bonne et due forme.

La porte refermée, il s’est assis là, sur le banc de traite et, adossé au mur, il a bien vu que les chèvres s’intéressaient à lui. Elles sont curieuses de nature, propres et gourmandes, bien que capricieuses et sélectives, tout ce qu’il faut pour qu’on s’attache à elles. On parle de la race caprine après tout… Elles le regardaient, les narines dilatées, afin de saisir par l’odorat des indices sur cet intrus que leur maître avait laissé seul avec elles. Et lui de se recueillir en cet instant particulier…

Au bout d’un moment, comme il ne constituait aucune menace, elles l’ont tout simplement ignoré. Elles se sont remises à manger dans un silence relatif, puisque les froissements du foin entre les lattes des mangeoires, les frottements de cornes ou les gorgées d’eau constituaient les seules manifestations de vie, avant que tour à tour, elles ne se couchent dans la litière de foin encore propre et chaud parmi les murmures et soupirs de la rumination.

La méditation a transporté notre homme d’un coup dans une autre étable, celle d’il y a deux mille ans, entre le bœuf et l’âne gris et c’est exactement ce qu’il voulait. La paix régnait en lui et autour de lui. C’était l’essentiel pour descendre en soi et retrouver son humble condition première d’humain en quête de sens, chercheur de lumière et de repos. Il n’avait besoin de rien d’autre pour le moment.