Omer Tousignant, pionnier de Palmarolle

Omer Tousignant, pionnier de Palmarolle

dim, 11/11/2018 - 09:19
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Omer Tousignant arrive à La Sarre en juin 1923. Il travaille chez son oncle H. de Grandmont tout en visitant les alentours avec l’intention de s’acheter un lot. Il choisit Palmarolle. Et comme il n’y a pas de chemin, il prend le lot 39, rang 7, sur les bords de la Dagenais. Plus tard ce fut le lot d’Henri Lemieux dont son petit-fils Bruno est l’actuel propriétaire.

Fin septembre, aidé des frères Bernier, il commence à abattre des arbres avec lesquels il se bâtit un petit camp. Quelques semaines plus tard, il écrit à sa femme pour lui annoncer que tout est prêt, qu’elle peut venir le rejoindre.  

Elle ne tarde pas. Le 19 octobre, vers 14h00, Maman, bébé Normand et moi qui ai 4 ans, nous embarquons, à La Sarre, sur le Bégin à palettes. On pense bien être chez-nous le soir même. Mais comme le bateau avance lentement, avec des Piff et des Paff, nous devons coucher chez des bons samaritains du temps : la famille Damasse Bégin, établie sur les bords de la rivière.

Ce n’est que le lendemain, vers 11h30, que nous arrivons enfin chez-nous. «Que c’est beau ici! s’exclama maman. Quel beau petit camp tu as fais!» Sincère ou actrice, je me le demande encore. Moi je le trouvais beau et maman persiste à dire qu’elle trouvait papa très ingénieux avec ses patentes et ses installations fabriquées avec peu de moyens. Je vois encore le petit évier en bois avec renvoie d’eau dehors. L’eau est tirée de la rivière avec une pompe placée près de l’évier. Une autre chose me frappe en entrant : outre la bonne chaleur, c’est le petit ber pour le bébé fabriqué avec des boites d’oranges ou de pommes.

Papa passe l’hiver à couper du bois qu’il vend pour survivre. À l’approche des Fêtes, mes parents ont sûrement un pincement au cœur de se voir si loin des leurs dont ils n’ont plus de nouvelles. Maman écrit alors des lettres et des cartes de Noël que papa part poster à La Sarre; 50 milles à pied aller-retour qu’il franchit en une seule journée. Il est anxieux de lire avec maman les lettres qu’il rapporte.

Arrive le temps de Pâques. Le curé Halde, alors vicaire à La Sarre, passe deux jours à Palmarolle, chez monsieur Brousseau, afin de donner la chance à tous de faire ses Pâques. À ce sujet, j’ai un bel exemple de fraternité à signaler : papa et maman y étant  allé le premier matin, un des voisin vient demander à maman si elle prêterait son manteau et son chapeau à sa femme afin qu’elle puisse à son tour le lendemain faire ses Pâques. Fraternité ou charité, les deux femmes sont assurément méritoires.

Quand se pointe mars, maman fait ses semences dans des boites qu’elle place sur le bord de nos deux seules fenêtres. Puis juin nous libère de tous ces plants que maman plante au jardin. Mais le soir même, catastrophe! Dans le clair de lune on voit, impuissants, des lièvres qui dévorent le tout en un rien de temps. Adieu les belles salades et les bouillis de légumes tant désirés. Maman pleure pour la première fois.

Fin juin, grand-père, qui demeure près de Trois-Rivières, envoie une de ses meilleures vaches par train jusqu’à La Sarre, puis par bateau à Palmarolle. Les voisins sont rassemblés chez-nous pour l’évènement. Autre déception! le bateau arrive mais sans la vache; elle s’est noyée en route. Attachée avec une corde trop longue, elle était tombée en bas du chaland qui voyageait de nuit. Tous ont des visages d’enterrement et plusieurs pleurent. Quant à moi, je comprends que je devrai continuer de transporter le lait du voisin à pied à travers bois tout l’hiver. Mais grand-père est un bon pourvoyeur : quelques semaines plus tard, il envoie une autre vache, celle-ci se rendant à bon port.

En septembre, mes parents reçoivent une invitation au mariage de la sœur de papa. Belle occasion pour eux de retourner voir leur famille, leurs amis. Ils partent donc, laissant la vache aux bons soins d’un voisin. Revenant dix jours plus tard, ils trouvent leur vache à moitié morte dans le bois. Elle s’était perdue et du coup, n’avait pas été traite pendant plusieurs jours. Heureusement, grâce aux bons soins de papa et de la grande foi de maman en la médaille miraculeuse, elle s’est vite remise sur pied.

La Providence ne nous abandonne jamais car nous sommes seuls dans les bois, loin de tout et manquant de tout : prêtre, docteur, magasin, téléphone, etc. Quant au boucher, il est à notre porte. Si maman a besoin de viande, elle installe un piège sur la galerie le soir et en un rien de temps, nous entendons crier le lièvre pris dedans. Alors maman prend son petit bâton magique et Pan! sur la tête du lièvre qui garnira la marmite le lendemain. Pour les desserts, il y a beaucoup de fruits sauvages : fraises, framboises, bleuets qu’on cueille péniblement sous les nuées de maringouins ou de mouches noires. Ce que maman trouve le pire à endurer, ce sont ces bestioles qui sont présentes jour et nuit.

Pendant ce temps, la route La Sarre-Palmarolle se construit lentement. Pour se rapprocher, papa achète un lot au rang 9. Nous y déménageons à la noirceur, profitant de l’aide d’un oncle en promenade. Comme maman est enceinte et qu’il n’y a pas de médecin à Palmarolle, mes parents jugent qu’il est plus prudent d’aller demeurer à La Sarre pour quelques temps. Rolland nait en avril 1925 mais nous ne revenons au rang 9 qu’à l’automne.  

Par feue Isabelle Tousignant