« Passe-moé une balle »

« Passe-moé une balle »

mar, 23/04/2024 - 10:40
Posted in:
1 comment

Dans les années ‘50, mes frères et moi étant jeunes ados, nous avions tôt appris à gagner les sous dont nous avions besoin pour acheter des choses que nos parents n’avaient pas les moyens de nous offrir.

C’est ainsi qu’en début d’été nous récupérions les bouteilles jonchant les fossés, puis nous visitions les « dump » pour y chercher des rebus de métal et, dès l’automne venu, nous trappions le lièvre jusqu’au printemps.

À partir de dix ans, nous étions devenus des commerçants en herbe, troquant nos récoltes contre paiement. Au début, notre acheteur itinérant, en échange des bouteilles et du métal, nous payait en biens qui ne couraient pas les rangs des colonies à l’époque: oranges, pommes, arachides ou bonbons. Seuls les lièvres attrapés au collet de laiton, qu’on vendait au magasin général de village, nous rapportaient quelques sous.

Un jour, frustrés de voir des perdrix nous filer sous le nez lors de notre « run de collets », nous primes la décision d’acquérir une carabine, un achat s’avérant hors de portée pour nous à $12.95 dans le catalogue Eaton. À l’évidence on n’obtenait pas cela avec des oranges... Jugeant que nous étions assez vieux pour utiliser une carabine, papa acquiesça mais à une condition : nous devions réunir la somme.

Combien nous fûmes emballés devant cet objectif! D’emblée, nous commençâmes à faire des plans. Les bouteilles et le métal ne suffisant plus, il fallut trouver une autre source de revenu. Nous décidâmes alors de tripler notre « run de collets ». Ce gibier poilu se vendait 25¢ l’unité à l’époque. Nous calculâmes que nous aurions alors besoin d’une cinquantaine de lièvres pour acquérir la carabine.  

Dès lors, notre territoire de trappe fut agrandi jusque chez les voisins de chaque côté. Le premier circuit, près de chez-nous, nous le visitions le matin à l’aube avant de partir pour l’école. S’il y avait des prises, elles embarquaient avec nous dans l’autobus scolaire (que nous surnommions le corbillard parce que de couleur noire) et nous les déposions au magasin général du village où le gérant les inscrivait au crédit. C’est papa qui s’occupait de ramener l’argent à la maison.

Au retour de l’école, nous parcourrions les « runs » les plus éloignées. Nous revenions souvent avec 5 ou 6 lièvres dans le traîneau. Et nous ne cessions de « zieuter » notre butin enfermé dans un pot de conserve voisinant le « gros gin » à papa sur la plus haute tablette de l’armoire de cuisine.

Notre récolte fit en sorte que dès la mi-février, nous avions déjà une quinzaine de dollars d’accumulés. Notre rêve se réalisait enfin! Un soir, guidés par nos parents et le catalogue Eaton, nous remplîmes le bon de commande qui fut posté dès le lendemain. Et quelle joie, quelques semaines plus tard, quand le facteur nous livra le colis… C’était une carabine calibre .22, à un coup. À cet effet, très tôt nous l’avions surnommée « Passe-moé une balle ».

Combien elle nous à rendu service cette carabine. Pendant plusieurs années, perdrix et castors ont agrémenté notre menu. Plus tard, « Passe-moé une balle » a abattu un ours, et même un orignal.