Lettre à mon fils

Lettre à mon fils

jeu, 19/03/2020 - 14:02
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Cher petit homme,

On commence à bien se connaitre hein! Après ces presque 10 ans déjà, tu me connais assez pour savoir que ta mère adore les voyages.

Les fesses au chaud, les pieds dans le sable  et pleins de choses à faire si possible. J’aime bouger, profiter, visiter, connaitre, apprendre. Le monde est un terrain de jeu, et je voudrais  y jouer le plus souvent possible. 

Ce que tu ignores peut être mon homme, c’est que ta maman s’est fait  une «  bucket list ». Une liste de chose a faire avant de mourir. T'inquiètes pas, ma « bucket list » est assez bien remplie. Je ne devrais pas manger les pissenlits par la racine avant un bout. Et sur cette liste, j’avais inscrit faire de l'aide humanitaire. Pourquoi je ressentais le besoin d’en faire? Aucune idée mon chéri; juste ce besoin. Dans mon corps et surtout dans mon cœur .... 

Donc tout bonnement, un jour d’octobre, j’ai trouvé ce voyage. Un voyage d’initiation à l’humanitaire, organisé par deux merveilleuse dames. Un voyage au cœur de l'humanité, entouré d’enfants, pour les enfants, avec les enfants. L’appel était lancé. Dans mes trippes, dans mon corps et dans mon cœur.

Alors c’est le cœur gros mais vibrant  que je t’ai laissé ici, en terre québécoise, avec ton père, pendant que moi j’irai en Afrique, au Sénégal, aider les jeunes qui ont beaucoup, mais beaucoup moins de chance que toi. Je te remercie mon chéri d’avoir prêté ta maman deux semaines à ces jeunes qui n’en n’ont pas.

Après  beaucoup d’heures d’avion, arrivée à Dakar. Ville de 6 millions d’habitants plus ou moins recensés. Premier arrêt humanitaire. Nous habitons chez les sœurs directement à l’orphelinat. Des enfants qui rient, qui pleurent, qui crient et  qui on besoin d’amour, de caresses, de câlins, de sourires. Ça adonne tellement bien, j'étais là pour ça! Donc j’ai bercé, j’ai chanté, j’ai cajolé de petits humains beau comme le ciel.

Après deux nuits dans cet endroit et  le cœur gonflé a bloc, nous avons  quitté pour Mbour, une ville de 200 000 habitants  plus ou moins recensés.   Encore ici nous allons à la pouponnière-orphelinat pour passer deux jours avec les bébés et les enfants. Et là mon chéri, là j’ai vu à quel point tu es chanceux d'être ici, à quelle point tu es chanceux d’avoir des parents qui t’aiment, te nourrissent, t’habillent, te câlinent, te chicanent parfois.

À Mbour, la pauvreté est présente partout. Les enfants n’ont rien, parfois même pas la bonne date de naissance. J’ai trouvé que dans la vie, tu commences tout croche quand t’as même pas de date naissance, quand ton arrivée dans ce monde n’est pas précise ou quand t’auras jamais de gâteau de fête  à la bonne date. Quand t’auras même jamais de gâteau de fête parce que t’as à peine à manger. Un simple bol de pablum avec une petite bouteille d’eau. 

Parfois  mon homme,  t’as pas le gout de prendre un bain. C’est bien plate se laver et j’ai l’air d’une mauvaise mère à te forcer. Mais là-bas, je pense bien qu’il rêverait d’un bain chaud qui sent bon, avec des bulles. Mais l’eau est pas toujours au rendez vous. Donc se laver est en bas des priorités. Les enfants sont sales, ils ont faim, soif.

Nous  avons aidé du mieux qu’ont a pu. Nous avons donné physiquement et  nous avons donné pleins de choses qui pourront les aider. Du lait maternisé, des couches, des lingettes, des médicaments. Et pour vous mes petits amours de Mbour, je vous ai remplis de câlins, de bisous et j’ai changé vos couches. Pleines! Pleines de vie et de gastro. Car oui, il y a eu la gastro à la pouponnière quand j’y suis allé. Ouf, grosse journée. Très difficile.  

Et, mon homme, nous allons essayer de ne plus jamais critiquer notre système de santé. Nous sommes privilégiés. Nous avons des hôpitaux  propres, de merveilleuses infirmières/infirmiers, des médecins, des CLSC, des cliniques et j’en passe. Là-bas, quand la maladie frappe, t’essaies de te mettre ami  avec elle car il n’y a pas grand  chose pour aider. J’ai vue des enfants handicapés qui sont entassés dans un coin, dans l’oubli. J’ai vue les larmes dans leurs yeux. J’ai vue la misère. Mais j’ai vécu l’amour aussi. Des bras qui me serrent fort, des  bisous, des rires. Y’a rien de plus beau que ça.   Moi, j’ai pleuré à Mbour. J’ai pleuré leur peine, j’ai pleuré leur  misère, j’ai pleuré leur vie, j’ai pleuré la mienne. Et j’ai pleuré ma chance, ta chance mon petit homme.

Dans les rues, partout, toujours il y a des enfants. Plus souvent qu’autrement ce sont  des enfants abandonnés. On les appelle les enfants Talibés. Ce sont des jeunes garçons, entre 3 et 15 ans environ, qui doivent mendier dans la rue. La plupart de ces enfants sont de familles très pauvres qui ne sont pas capable de subvenir à leurs besoins. Alors leur famille les envoie dans des «daaras», endroits qui les accueillent où des maitres coraniques appelés marabouts  leur apprennent le Coran en échange de petits travaux ménagers. Mais comme l’être humain peut être aussi mauvais qu’il peut être merveilleux,  au fil des ans, cette action s’est transformée en trafic d’enfants.  Les enfants doivent aller mendier dans la rue et s’ils ne rapportent pas suffisamment d’argent,  ils sont battus pas les marabouts. Ils sont affamés, ils les font dormir à même le sol, entassés les uns sur les autres. Plus  souvent qu’autrement ces enfants servent d’esclaves sexuels. 

J’ai de la misère à comprendre, mon fils, pourquoi en 2020, nous marchons sur la lune, nous voulons aller vivre sur Mars,  mais qu’il y a plein d’enfants sur cette terre qui souffrent, qui sont  battus, violés, qui meurent et qui sont oubliés. J’ai vu les marques de violence sur leurs petit corps. J’ai vu la peur dans leurs yeux. Mais j’ai aussi  vu la joie quand, à tous les jours, nous préparions des tartines et des yogourts que nous allions leur porter. Je n’ai pas changé leur vie ni leur sort, mais j’ai rempli leur bedons vides  ces jours là. Je les aurais tous pris dans mes bras ces coco, comme je le fais avec toi, et je leur aurais dit que tout va allez mieux. Que le soleil est toujours là. Que la vie est belle. Pareil comme je te dis à toi.  Mais leur vie est bien différente de la tienne. Elle est faite de peur, de violence et de pauvreté. Au Sénégal, il n’y a pas moins de 100 000 enfants Talibés. Un enfant maltraité c’est un de trop; imagine 100 000...

Dans notre humanitaire nous nous rendions aussi dans la brousse. Nous allions porter nourriture, vêtements et médicaments aux familles qui y vivent.  On évalue à peu près 500 villages dans la brousse. Nous avions acheté plein de nourriture et du  matériel scolaire.  T’aurais du voir le chargement mon ami.  Un vrai jour de Noël. Nos jeeps étaient pleines. Ce fut une journée très forte en émotions. Les gens étaient tellement contents de nous voir arriver avec tout ce que l’on  avait à leur  donner.

Nous sommes partis tôt le matin et nous avons roulé dans la brousse à la recherche de petits villages. Et quand je dis  petits villages, ce sont parfois 2 ou 3 maisons de paille, parfois une dizaine de maisons rassemblées. Les gens y vivent très pauvres mais ensemble. Nous nous sommes arrêtés  pour aller à la rencontre de dames qui allaient chercher de l’eau dans un puits. Le puits était déjà à sec, la saison des pluies ayant été particulièrement faible cette année. Nous étions là en janvier et la saison des pluies n’est seulement qu’au mois de juin.

Tu te rends compte? Ici, on ouvre notre robinet et l’eau coule. Gratuitement en plus! Et on trouve le moyen d’acheter des bouteilles d’eau en plastique. Donc, nous payons pour quelque chose de gratuit et qui pollue, ce qui fait qu’on paye pour polluer, quand eux n’ont même pas une goutte d’eau ni électricité.

C’est noir le soir dans la brousse. Ils dorment par terre, mangent de la semoule de mil trois fois par jour, 365 jour par année. Alors quand nous sommes arrivés avec notre diversité culinaire (du riz), les gens étaient tellement heureux! Ils nous amenaient de grands plats  que  l’on remplissait  de riz, de bouillon, de savon, etc.

La plupart des gens avec qui j’ai voyagé avaient apporté une valise de plus, remplie de diverses choses à donner. Il y avait des vêtements, chaussures, casquettes et j’en passe. Quand à moi j’avais beaucoup de vêtements et de chaussures pour couvrir les petits pieds nus des enfants qui doivent marcher des kilomètres pour aller à l’école, quand il y en a une...

Toi tu es chanceux mon trésor, t’as des chaussures pour pleins d’occasions, des plus propres souliers au plus vieux  en passant par les souliers de soccer. Eux ils  jouent, marchent et courent pieds nus. Leurs pieds sont souvent blessés. Toi, tes pieds sont encore bien neuf. Quelle chance quand même, nos pieds sont gâtés!  

Nous sommes allés visiter des écoles de la brousse aussi. Il y a à peu près 75 enfants par groupe, classes mixtes. La plupart du temps, ils n’ont qu’une ardoise avec une craie. Nous leur avons apporté tellement d’articles scolaires; les petits cocos auront des cahiers, des gommes à effacer, des crayons, des étuis et j’en passe. Tu te rends compte mon Liam, je vais avoir aidé des jeunes à aller à l'école! Là-bas, ils ont le goût d’aller à l’école mais n’en ont pas les moyens. Ici nous avons amplement les moyens mais pas souvent le goût. Le monde à l’envers tu dis!  Donc cette journée dans la brousse a été gravée dans mon cœur à tout jamais. Voir des gens si heureux, qui  nous remerciaient en nous faisant des danses africaines. La danse là-bas est vraiment présente. Tant dans la peine que dans la joie. Et de la joie cette journée-là, il y en avait!  J’ai appris  que dans la vie, on peut donner même si on à rien. Les gens nous invitaient à souper même s’ils n’ont rien à se mettre sous la dent la plupart du temps. Mais c’était pour nous remercier. Et  l’eau, on n’en parle même pas.  

Donc après douze heures de brousses, nous sommes retournés à nos chambres, les valises, les jeeps, les sacs, les poches  vides, mais le cœur remplis de joie.  Nous sommes aussi allés dans une école dans la ville de Mbour. Armés de peinture et de pinceaux, nous  avons apporté tout le nécessaire  pour embellir leur école, en plus du matériel scolaire pour les étudiants. Malheureusement nous avons manqué de temps pour le faire nous même. Mais nous avons tout laissé à l’école dans l’espoir qu’ils la réparent eux-mêmes. J’aurais une raison  pour retourner à Mbour un jour pour voir leur travail.

Dans mes journées passées là-bas, nous avons fait un peu de tourisme  aussi. Nous avons visité l’ile de Gorée, ou il y a une maison d’esclave qui, autrefois, faisait  la traite d’esclaves. Ça été  un sentiment étrange quand nous étions dans la maison. Comment, entre humains, pouvons-nous être si méchants? Et pour une couleur de peau  en plus... Je trouve que le  cœur est pareil dans tout les corps sur cette terre, peu importe l’enveloppe qui le porte. 

Nous avons aussi visité le marché des pêcheurs, ou il y a la pêche commerciale. Mais leurs embarcations ne sont pas comme les nôtres. Ils partent tous les jours dans des petits bateaux pour pêcher et revendre ensuit leur poisson aux autres pays. Dommage qu’ils ne peuvent même pas manger leurs propres poissons. Tout ça pour les vendre à d’autre pays qui profitent un peu de leur condition.  Quel travail ils font! Je te jure mon homme, tu es chanceux de pouvoir choisir le métier que tu feras plus tard. A Mbour, quand ton père est pêcheur, tu le seras toi aussi et ta mère doit aider ton père. Donc c’est la pêche de père en fils dans des conditions extrêmement difficiles.

Nous avons fait un mini safari et nous avons été voir le lac rose (où ils puisent le deuxième meilleur sel sur la terre après  l’Himalaya). Nous avons été dans le désert et nous avons vécu en mode sénégalais. Mode qui se veut très relaxe. 

Pour notre part, nous avons bien mangé au Sénégal. Notre ventre à nous a été bien  rempli. Encore là fiston, sois toujours gratifiant de la variété de nourriture que tu as sur ta table. Au Sénégal, par manque d’eau, d’argent, bref de ressources, il n’y pas beaucoup de variété. Les gens vivent de leurs récoltes. Mais comme il n’y a pas de potagers ou presque, pas de fruits, pas de légumes, la baguette de pain est à l'honneur.  Il y a des chèvres, de poules, des cochons partout par contre.  Et si jamais ta première voiture n’est pas à ton goût plus tard, dis-toi qu’au moins tu en auras une. Souvent ces gens n’ont pas de moyens de transport, les transports en commun sont désuets et  ils débordent de monde. La charrette  avec un âne est encore souvent le moyen de transport  le plus à la mode. 

Je  garde un souvenir merveilleux de mon voyage au Sénégal, particulièrement les gens que j’ai rencontrés, les amis que je me suis fait, les enfants que j’ai aidés et aimés. Un jour mon beau Liam, je vais faire ce voyage avec toi. Je vais te montrer comment ça peut être gratifiant d’aider les autres. Comment tu es chanceux d'être ici. Comment tu es chanceux d'avoir tout ce que tu as. En fait, comment tu es chanceux de seulement être.  Et j’ai compris le sens du terme donner. J’ai donné en Afrique, j’ai donné mon temps, mon corps,  mon cœur. Mais ce qui est merveilleux, c’est que j’ai aussi beaucoup reçu. J’ai reçu une méchante belle leçon de vie.

Donc je continuerai mon petit bout de chemin avec toi mon homme. En essayant de te transmettre tout ce que j’ai appris là-bas. Je continuerai avec l’espoir et l’intention d’y retourner un jour mais avec toi. Je continuerai ma vie  sur cette terre bien simplement,  mais je serai un peu plus pesante car je porterai dans mon cœur tous ces souvenirs, tous ces enfants. Je continuerai sans jamais oublier qu’ici  on a encore plus que ce qu’on devrait avoir. Bref,  je vais seulement continuer à me trouver chanceuse. Chanceuse d’avoir tout ce que j’ai, chanceuse d’avoir traversé leur vie, mais aussi chanceuse qu’ils aient traversé la mienne. Je n’ai sûrement pas changé leur vie mais je les ai aidés du mieux que j’ai pu. Mais j'oublierai jamais qu’eux,  ils  ont changé la mienne.  

Alors mon fils profites de ta  vie, mords dedans et un beau jour, nous irons ensemble donner.  Donner un simple sourire, une caresse, beaucoup d’amour,  de la nourriture, de l’argent,  bref un peu de tout  quoi. Nous irons ensemble embellir la vie des enfants qui auraient pleins de raisons d’abandonner mais qui ne le font jamais. Alors vit, aime, donne.

                                                                                   Ta maman Isabelle xxx