Roger Caron croit mordicus à l’avenir agricole de l’Abitibi (1975)

Roger Caron croit mordicus à l’avenir agricole de l’Abitibi (1975)

mar, 29/01/2019 - 09:45
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«À mon cousin de Chicoutimi, j’ai dis quand je suis allé lui rendre visite cet été que jamais j’irai chercher du foin à Chicoutimi! De Montréal et Chicoutimi, y s’est pris du foin d’Abitibi. Y viennent encore. Qu’y viennent dire après qu’il n’y a pas d’agriculture icite».

Napoléon Caron a eu 81 ans la troisième semaine d’août. Droit comme un arbre, l’œil brun-foncé encore vif et rieur, il regarde son champs qui se perd dans les forêts de Palmarolle.

Palmarolle, c’est l’image de l’Abitibi agricole avec Ste-Germaine, St-Laurent, Roquemaure et quelques autres, aux champs immenses et vallonnés qui, au mois d’août, sont dorés comme le miel, pleins d’épis d’avoine et d’orge, avec leurs grosses maisons de ferme toutes carrées, leurs granges et leurs étables.

Armé d’une vieille scie comme on en voit dans les boutiques d’antiquités le long des routes, Napoléon Caron coupe du bois, devant une grange qui se démolit toute seule.

De grands éclats de rire, une belle humeur : «Vous ne poserez pas ça, cette vieille grange-là! dit-il. C’est notre première. Je l’ai construite quand je suis arrivé il y a cinquante et un ans.»

Il montre la belle grange au toit d’aluminium qui fait des étincelles sous le soleil. Il désigne une immense bâtisse que son fils Roger, qui a pris la relève, est en train de construire. Le bruit d’une scie mécanique nous parvient.

Napoléon Caron veut que sa photographie soit prise devant la grange neuve.

«Il y a du monde qui dit que nous sommes des arriérés, qu’on vit dans la pauvreté, qu’on a de la misère».

Il a été heureux à Palmarolle. Il a trimé dur. Avec sa femme et son fils Roger qui avait treize ans, il est arrivé tout droit de Ste-Perpétue, comté de L’Islet, en 1923 au plus fort de la colonisation.

Sa femme Mariette, 72 ans vient nous rejoindre.

«Elle est plus jeune que moi, ricane-t-il. Quand je l’ai demandé en mariage, son père m’a dit : «Elle est ben jeune». J’ai répondu : «Elle va vieillir».

Ils sont arrivés en plein bois. Ils étaient les premiers à s’installer dans le rang 8 de Palmarolle. Avec une hache seulement.

Ils sont descendus tous les trois du train; ils sont montés dans le petit bateau; ils ont descendu la rivière White Fish; la rivière Dagenais, à partir du lac Abitibi, de retour d’Iroquois Falls, en Ontario.

«Le dimanche, on allait sur la rivière en bateau. Et là on regardait tout droit en haut, et on voyait le ciel», raconte-t-il avec du soleil dans son visage, son visage plein de sillons, son regard d’ardent pionnier.

Napoléon Caron s’est mis en 1923 à défricher la forêt qui lui cachait le ciel tant elle était dense et que les arbres étaient hauts. Il a construit une toute petite maison de 16 pieds pour abriter sa femme et son fils. Ils ont eu un autre enfant et en ont adopté un troisième.

Il s’est mis ensuite à cultiver sa terre, mais il ne pouvait faire que ça pour faire vivre sa famille. Il est parti draver à Villemontel, et aussi à Palmarolle, pour 4 piastres par jour.

« Le gouvernement nous avait abandonné», ajoute-t-il.

Napoléon Caron a pu sauver sa ferme. Son fils Roger a pris la relève. Mais, comme lui, il a du travailler partout ailleurs pour survivre. Il a toutefois réussi depuis une quinzaine d’années à se consacrer entièrement à l’agriculture.

Il est aussi fier et orgueilleux que son père. «Pas de photos de la vieille grange, s’écrie-t-il, fâché en abandonnant les travaux de construction. Les journaux et surtout la télévision nous ont assez fait passer pour des sous-développés».

Toutefois, il s’apprivoise. Il nous fait visiter son chantier de construction, explique avec des termes très techniques comment il édifie cette bâtisse avec son fils de 19 ans, Michel. Il nous regroupe dans la maison autour d’une tasse de thé et de pain aux raisins pétris par sa femme Marguerite et cuits dans le poêle à bois. Toute la maison est parfumée.

Roger Caron a pris la relève de la ferme familiale. Il a eu de la chance et est allé suivre des cours à l’Université Laval à Québec. Droit commercial, lois agricoles, géographie rurale, etc.

«Voilà 25 ans, on n’aurait pas pu s’imaginer qu’un fermier aurait pu aller à l’université», dit Roger. Et son père répond : «Nous on savait tout, tout seuls; les connaissances, ça venait en travaillant. Quand un agronome du Ministère venait nous dire comment semer et récolter nos patates, on faisait le contraire, car, à coup sûr, si on l’avait écouté, des patates, on en aurait pas eu».

«Voyons papa, répond Roger, ce n’est pas seulement semer, semer! Maintenant je suis capable d’installer l’électricité dans mon garage tout seul. Je connais la mécanique des machines agricoles. Il faut ça aujourd’hui».

À la ferme Caron, on produit du lait et de la viande. Cinquante animaux en tout. On cultive de l’avoine, de l’orge et du foin. Cette année, on investit quelques $8000 dans l’amélioration de la ferme qui a un actif de quelque quarante mille dollars.

Le revenu annuel de la famille se situe aux alentours de $10000. Une famille qui comprend les deux grands-parents, Roger Caron, et sa femme, son fils Michel et sa fille Mariette.

«Nous vivons bien avec la production agricole, dit Roger. Mais je donne des cours aux adultes, aux agriculteurs, parce que j’aime ça. Je n’aurais pas besoin d’un deuxième revenu pour vivre».

Roger Caron croit mordicus à l’avenir de l’agriculture en Abitibi. Mais il ne songe pas seulement à améliorer la qualité et la quantité de sa production. Il imagine l’agriculture de l’an 2000, celle que devra faire son fils Michel, qui a déjà décidé de rester sur la ferme.

«Il y aura peut-être des tracteurs télécommandés. Je suis peut-être fou, dit-il, mais les hommes sont bien allés sur la Lune».

Il parlerait des heures et des heures de l’agriculture électronique. Mais son fils répond : «Ah oui! C’est bien beau tes idées, mais quand le tracteur sera coincé, c’est qui, hein, qui va aller mettre les planches en dessous»?

Par Huguette Laprise, La Presse 29 août 1975

Source : Archives nationales du Québec