Une messe enflammée!

Une messe enflammée!

jeu, 24/11/2022 - 15:37
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Depuis décembre 2011, par le biais du Journal Le Pont de Palmarolle, je me suis toujours fait un devoir de rédiger un conte de Noël. Je ne suis plus journaliste au Pont, mais le goût de vous revenir en ce prochain Noël 2022 me donne l’envie de récidiver encore cette année avec une histoire drôle, ou plutôt, une drôle d’histoire, vraie (ou presque) qui s’est déroulée à la messe de Minuit de 1953 dans mon village. Mon personnage principal avait comme sobriquet Beu-Noir...

Comme la majorité des hommes de la paroisse appartenaient au mouvement catholique de la Ligue du Sacré-Cœur, ils avaient fait, lors de leur initiation, la promesse de ne jamais profaner le nom de Dieu et des objets liés à son culte. Ils s’étaient donc trouvé un substitut aux jurons à la mode tels : crisse, ciboire, câlisse, etc. Notre héros d’aujourd’hui avait donc adopté comme « patois » l’expression beu-noir, pour d’autres c’était : joual vert, torrieu, gériboire, etc. Finalement, on finissait par baptiser le bonhomme du nom de son inoffensif juron.

Puisque les rangs n’étaient pas déneigés à cette époque, on venait à la messe en carriole à cheval. Certains, plus imaginatifs que d’autres, se construisaient des carrioles fermées et chauffées. Pour ne pas surcharger le cheval, on fabriquait souvent ces petites voitures avec de la toile qu’on achetait au surplus d’armée. Cela se vendait pas cher sous forme de grandes bâches de lin ou de chanvre goudronnées. Ce matériau offrait une grande résistance, une bonne imperméabilité et, surtout, une légèreté appréciable.

Après avoir construit un squelette en bois sur un grand traîneau, on l’habillait de cette toile pour en faire un petit habitacle. On y installait un mini-poêle à bois à l’intérieur et un tuyau d’échappement de la fumée vers l’extérieur. On y accédait par une porte latérale, puis on ajoutait des mini-fenêtres à l’avant, sur les murs latéraux et à l’arrière. Sous l’une des fenêtres coulissantes en avant, on perçait deux orifices ronds pour laisser passer les rênes essentielles à la conduite du cheval. Certaines de ces unités mobiles pouvaient recevoir trois ou quatre passagers assis. D’autres étaient de véritables autobus auxquels on attelait une « time » de chevaux. Le propriétaire de ces super-véhicules ramassait sur son trajet plusieurs passagers, moyennant le versement d’un écot pour rentabiliser son investissement.

Quel beau spectacle que de voir arriver toutes ces maisons miniatures dégageant chacune une petite boucane, synonyme du confort et de la chaleur qui régnaient à l’intérieur. On « parquait » toutes ces carrioles en rangées, entre l’église et le magasin Coop du temps. À l’arrière de cet immeuble, on avait érigé une écurie communautaire (coopérative) où chaque charretier, après avoir dételé sa bête, l’amenait dans une stalle identifiée à son nom, ce dernier ayant payé sa part lors de la construction du bâtiment.

Les plus pauvres, comme Beu-Noir, n’ayant pas accès à la grande écurie se résignaient à laisser leur « horsepower » attelé, mais attaché à un piquet, pour s’assurer de le retrouver au même endroit à la sortie de l’église. Souvent les plus attentionnés leur mettaient une couverture sur le dos qu’ils attachaient avec des sangles sous le ventre de l’animal.

Le Minuit chrétiens avait été chanté, l’orgue bourdonnait de tous ses tuyaux, la première grand-messe tirait à sa fin. La deuxième messe allait commencer. En cette nuit de la Nativité, le célébrant devait chanter trois messes d’affilée pour répondre au protocole liturgique de l’Église catholique.

Ti-Paul et Ludger, pas très dévots, profitèrent de ce court intervalle pour sortir griller une cigarette sur le perron. Pas le temps d’allumer! Ce qu’ils virent, ce n’est pas la petite flamme d’une allumette, mais des flammèches au-dessus de la carriole à Beu-Noir. Ça chauffait vraiment! Le pauvre cheval commençait à frétiller dans les brancards, avec raison. Il avait, comme on dit dans le langage populaire, le feu au c...

Ludger laissa tomber sa cigarette. Il se précipita dans l’église et, en plein milieu de l’allée centrale, il s’écria : « La cabane à Beu-Noir est en feu! » Tous les hommes se précipitèrent dehors pour tenter de maîtriser l’élément destructeur. Chacun tâcha, à sa manière, de combattre l’incendie. L’un s’étant emparé de la pelle au pied de l’escalier s’époumonait à garrocher de la neige sur le feu, tandis que les autres, sans grand succès, faisaient de même à pleines mains. Deux autres, plus calmes malgré le danger, essayaient de dételer la pauvre bête apeurée. L’opération était d’autant plus difficile que le harnais et ses attaches étaient, selon la méthode Beu-Noir, rafistolés avec de la broche à foin, ce qui compliquait l’opération de sauvetage de l’animal.

Sans eau, il faillait tenter par tous les moyens de sauver le pauvre animal dont les crins de la queue et les poils de la croupe commençaient à roussir. Deux costauds, voyant le peu de résultats obtenus par le « garrochage » de neige, échangèrent quelques mots puis, à la course, retournèrent à l’église dans le but de prendre le moyen ultime.

En ce temps-là, dans le portique des églises, il y avait une « tobe à l’eau bénite » qui devait contenir près de cinquante litres du liquide miraculeux. Cette citerne était munie d’un robinet à sa base pour permettre aux croyants de remplir des bouteilles de cette eau magique. On la faisait boire aux malades dans un but de guérison, on arrosait aussi les fenêtres, pendant les orages violents, pour protéger la maison de la foudre. Nos deux hommes forts, Gérard Landry et Paul Pelletier, agrippèrent donc le contenant géant, l’un avec une solide poigne au robinet et l’autre, sa large main soutenant le fond, et se dirigèrent presque en courant vers les lieux du drame. Levant la citerne à bout de bras, ils en versèrent la moitié du contenu sur la croupe du cheval d’où s’élevaient de légères fumerolles noires et malodorantes, pour ensuite « dumper » le reste dans le trou fait par le feu dans le toit de la voiture. Aussitôt les flammes se calmèrent pour s’éteindre complètement avec les quantités, mêmes minimes, de neige qu’on continuait de lancer.

Une fois le cheval enfin sorti des brancards et détaché du timon, on lui accorda le privilège de passer le reste de la nuit dans la grande écurie paroissiale. Quant à la carriole de Beu-Noir, on la poussa dans le banc de neige où elle finit de se consumer et les cendres de s’éteindre définitivement.

C’est à ce moment que le curé sortit à la rencontre des pompiers improvisés d’une nuit de Noël. Il rappela aux combattants qu’ils devaient retourner dans l’église, car il lui restait deux messes à chanter pour respecter l’obligation des trois messes devant être dites la nuit de Noël. Inutile de vous dire que les sapeurs occasionnels ne montrèrent pas un grand enthousiasme à s’offrir ces derniers offices comme conclusion de leur aventure. Devant leur mine déconfite, le curé leur donna congé de la dernière messe ce qui les fit obtempérer à l’invitation du pasteur qui ignoraient encore que sa citerne d’eau avait servi à circonscrire l’incendie de la cabane à Beu-Noir.

 Épilogue : Au lecteur qui ne croirait pas à la magie de l’eau bénite, je répondrais ce que Jésus a dit à son apôtre Pierre (Matthieu 14 :31) : Je vous laisse chercher cette réponse. C’est une autre histoire d’eau.

Joyeux Noël aux lecteurs du Journal Le Pont de Palmarolle!