La puissance des mots

La puissance des mots

lun, 31/10/2022 - 07:53
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« Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement et les mots pour le dire viennent aisément. »

Cette citation est de Vladimir Jankélévitch, philosophe.

Il se pourrait qu'il ait raison... si tant est que sa pensée est claire et précise et qu'il trouve les bons mots pour l'exprimer... les bons mots, le bon ton, la bonne attitude, le bon moment, le bon éclairage, la bonne personne, les bonnes dispositions de part et d'autre... Ça n'a pas de fin. De toutes ces conditions dépend l'ouverture de l'interlocuteur à qui l'on s'adresse, selon qu'il est disposé à écouter car, une fois les mots prononcés, leur interprétation, les réactions qui en résultent et leur contrôle nous échappent! On marche sur des œufs. Ou dans la purée de pois... C'est toute l'histoire de l'humanité dont les langages multiples sont autant de barrières, des blocages possibles à la communication s'il n'existe pas de réelle volonté de saisir le vrai sens des paroles échangées, ceci en cherchant à les rendre compréhensibles, en les traduisant adéquatement, en les interprétant fidèlement.

En principe, la communication sera facile si les échanges se font dans la même langue, mais encore là, l'interprétation des mots peut varier et l'errance survenir. Communiquons tout de même et échangeons librement puisque nous en avons le loisir et que tous admettent les bienfaits des échanges dont l'éloge n'est plus à faire, quittes à ce que la maladresse de mots mal choisis au mauvais moment puisse irriter, troubler ou refroidir l'atmosphère... La parole peut donc être source de malentendu. Comment? Pourquoi? Rien n'est jamais parfaitement clair...

D'une part, la raison en est souvent contextuelle. Sortez un énoncé de son contexte et voyez-le changer de sens dans l'esprit de celui qui le reçoit et qui peut l'interpréter maladroitement parce qu'il lui manque des éléments de compréhension. S'il ne vérifie pas, dans le doute qui l'assaille, le bienfondé de son interprétation en ne questionnant pas le contexte de l'énoncé, il risque de ne pas en saisir le sens exact. Forcément, puisque le contexte est déterminant pour le sens à donner aux mots prononcés à quel moment, sur tel ton, par qui, pourquoi... L'absence de contexte brouille le sens des mots. On ne peut donc ni juger encore moins condamner sur le coup de l'émotion les mots ramenés en dehors de leur contexte d'origine, sans d'abord prendre du recul, sans d'abord réfléchir. Il faut prendre une pause, questionner le contexte où cette parole fut prononcée, sortir de l'incertitude. Si toutes les conditions d'une bonne communication ne sont pas réunies, il peut y avoir méprise ou errance dans l'interprétation qu'on pourrait faire des mots choisis. Un exemple? L'appropriation culturelle.

D'autre part, la raison peut en être l'imprécision, le vague, l'ambiguïté, l'à-peu-près, la méconnaissance du sujet, l'ignorance même. Par exemple, que la conversation soit téléphonique donc, en l'absence physique de l'interlocuteur et qu'on ne puisse pas lire l'expression sur son visage, que le moment soit mal choisi ainsi que les mots, que le ton soit inhabituel, que la tirade laisse déceler une amertume, et voilà que se pointe l'occasion pour l'un de percevoir dans le ton amer de l'autre, une possible ironie qui sonnera comme une fausse note à son oreille. Soudain, deux univers se toisent, distants comme des galaxies... et les mots pour le dire viennent aisément? De toute évidence, pas si aisément... parce qu'on les cherche les mots, afin qu'il n'y ait aucune équivoque dans le sens qu'on leur donnera. Et malgré cela, interprétation il y aura. Les mots peuvent être englués, glissants, mordants, tranchants, vides, navrants, opaques, sombres, nébuleux. Ils peuvent aussi être propres, léchés, doux, pleins, joyeux, transparents, limpides, lumineux, sereins, rassurants. C'est un peu comme lorsque deux personnes regardent un tableau et qu'elles ne peuvent se mettre d'accord sur ce qu'elles voient. Chacune ira de sa vision et chaque vision sera légitime. On leur dira qu'une fois le tableau livré, le regardeur devient l'interprète selon ses référents, lui-même libre d'y voir autre chose que l'intention de l'artiste. Or, cet énoncé peut très bien ne pas tenir la route en ce qui concerne la parole puisqu'à priori, on considère l'intention de l'émetteur. Dans son énoncé, dans son commentaire, on doit pouvoir recevoir son message premier, comprendre ce qu'il a précisément voulu dire, découvrir sa réelle intention.

Les réseaux sociaux nous en font voir de toutes les couleurs en termes d'exemples de mots choisis dans une intention précise. Des mots durs, même violents, souvent écrits dans l'anonymat, qui ne laissent aucun doute à l'interprétation que peut en faire celui ou celle qui les reçoit. Sujet délicat...

Sans tact dans les relations avec autrui, sans précision dans le choix du vocabulaire, sans les codes qui régissent l'intimité entre les personnes, sans la bienveillance, le respect et tout ce qui favorise une bonne communication, la porte s'ouvre grande à l'interprétation erronée, haineuse, conflictuelle, méprisante, sans recul nécessaire et donc, vouée à l'échec sans possibilité de retour en arrière, dans l’incompréhension totale et irrévocable. Et cela ressemble à quelque chose comme la fin du monde.