Souvenirs personnels de l’accident de mon père, Jos Lapointe – 18 avril 1965 (suite et fin)

Souvenirs personnels de l’accident de mon père, Jos Lapointe – 18 avril 1965 (suite et fin)

mer, 26/10/2022 - 09:03
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Dans le deuxième extrait de ce récit, nous apprenions que Jos Lapointe, après six mois passés dans un hôpital à Montréal, revenait enfin à la maison et que sa fille Jocelyne avait enfin pu manger son chocolat de Pâques. Voici la fin de cet émouvant récit.

Quand papa est revenu à la maison au mois d’octobre vous auriez dû voir la foule qui l’attendait. La galerie de l’épicerie à côté de chez-nous était pleine de monde. C’était vraiment touchant! 

Après son retour de l’hôpital, la convalescence n’a pas été facile pour papa et pour nous autres. Il avait encore des problèmes de mémoire et ça le décourageait par bout. Maman essayait de l’encourager à aller faire un tour au garage Nicol en face pour aller jaser avec les hommes.  Papa faisait les cent pas dans la maison pour se donner du courage mais pas longtemps après il enlevait son manteau et ses bottes et décidait de ne pas y aller.

Même s’il connaissait quelqu’un à fond, il n’était pas capable de dire le nom de la personne. Il pouvait décrire ce qu’il faisait comme travail, la sorte de véhicule qu’il conduisait, l’endroit où il restait, mais il ne pouvait pas dire leur nom. Un jour, une de ses connaissances avait téléphoné pour dire qu’il voulait venir le visiter.  Maman lui a dit que lorsqu’il serait chez-nous il ne fallait pas demander à papa s’il le reconnaissait car elle savait qu’il aurait de la misère à trouver le nom.

Aussitôt que cet homme est arrivé chez-nous, il a dit à papa : « Me reconnais-tu? » Papa essayait de trouver son nom mais rien à faire.  Le nom ne lui venait pas à la mémoire. L’homme en question enlevait ses lunettes, les remettait et attendait pour voir si papa saurait qui il était. Papa a dit : « T’as un garage l’autre bord du pont, t’es marié à une femme qui vient de telle place, tu conduis un char de telle couleur, mets tes lunettes ou enlèves les ça ne fait pas de différence parce que ton nom je ne le sais pas! »  Par le temps que l’homme est parti papa était en sueur à force d’essayer de répondre aux questions.   Maman était tellement fâchée! Elle avait dit à cet homme de ne pas lui demander s’il le reconnaissait et il l’a fait quand même.

Je me rappelle aussi la fois où j’étais assise à la table à faire manger mon jeune frère Mario qui n’avait qu’un an. Maman était partie. Papa était assis au bout de la table et tout d’un coup il s’est mis à pleurer. Pour une petite fille de 11 ans, voir pleurer son père qui avait toujours été fort, plein d’entrain, toujours de bonne humeur, qui chantait tous les matins en se levant et qui aimait agacer, c’était terrible! Soudain, il a dit : « Je ne suis plus bon à rien, je suis aussi bien de me flamber la tête. » Il s’est levé et s’est embarré dans la salle de bain.   J’entendais couler l’eau sans arrêt. Je ne savais pas quoi faire.  Papa est resté là jusqu’à ce que maman revienne. Elle a débarré la porte pour voir ce qu’il faisait. Elle a dit qu’il était assis en train de pleurer. Je pense qu’il faisait couler l’eau pour que je ne l’entende pas. Je n’ai jamais oublié ce moment tellement triste.

Un jour, le prêtre est venu chez-nous pour nous visiter. Il a demandé à mon père comment ça allait. Mon père avait de la difficulté avec sa vision. Il voyait encore double. Il a dit au prêtre : « Quand je regarde autour de la table, je vois douze enfants au lieu de six. »  Le prêtre lui a répondu : « Oui, mais Jos n’oublies pas que tu vois aussi deux femmes; il y a beaucoup d’hommes qui aimeraient ça! »   Le prêtre a tourné ce qui était négatif en positif. Cette visite avait fait du bien à papa.

Je me souviens que Gérard Lebel, qui était missionnaire en Afrique, était revenu chez ses parents pour un long congé. Il venait chez-nous après souper. On se mettait à genou dans le salon pendant qu’il récitait un chapelet pour la guérison de papa.  

Les deux années suivantes ont été difficiles par bout mais papa prenait du mieux de jour en jour.  Mes parents avaient des bons amis et ça lui faisait du bien de passer du temps avec eux. Le docteur de l’hôpital de Rouyn-Noranda avait dit que papa en avait seulement pour deux heures à vivre mais en fin de compte il a vécu un autre 23 ans.