Monsieur Rosario

Monsieur Rosario

sam, 01/10/2022 - 08:16
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Habile en construction, ma mère avait terminé la rénovation de la chambre que je partageais avec ma sœur Carmen. Nous étions six filles occupant trois chambres à l'étage. Les deux garçons étaient au rez-de-chaussée dans la rallonge de la maison faite par monsieur Rosario.

Ma mère était très pointilleuse sur les mots. Monsieur Rosario, disait : « Moé je vais faire un peu de ceci ou de cela » ou : « Toé, comment ça va? ». Là-dessus je le corrigeais car on ne dit pas toé, on dit toi, on ne dit pas moé, on dit moi, on ne dit pas icitte mais ici, on ne dit pas bin mais bien.

Un matin, monsieur Rosario arriva pour la rénovation de la rallonge de la maison. Il me demanda où était mon père. Je lui répondis qu'il était à l'étable pour tirer les vaches. Sur ce, il me reprit: « On ne dit pas tirer mais bien traire les vaches ». Il avait eu sa revanche.

De ma chambre qui était situé du côté nord, je pouvais voir la ferme de monsieur Paul Lemieux et de Gilberte Pinard. Les jours d'orages, ma mère m'envoyait garder Gilberte qui était traumatisée par les éclairs. Je la trouvai enfermée dans le garde-robe avec ses quelques jeunes enfants tapis contre elle. Quand elle avait mon âge, elle était allé chercher les vaches sous la pluie. L'orage vint et en un éclair, foudroyé, un arbre a éclaté complètement devant elle. Ça l’avait traumatisé.

Toujours à la fenêtre de ma chambre, je peignait à la gouache la ferme de monsieur Lemieux, que je voyais en plongée, car leur maison était en bas de la côte. Tout à côté de mon chevalet, j'avais accès à un espace dans l'appentis du toit pour y déposer mon matériel à dessin et quelques livres de poésie que j'avais commandés par la poste. À cette époque, c’étaient des livres censurés, c'est à dire expurgés de tout ce qui pouvait donner à mal penser. À part les livres de poésie, j'avais laissé là les feuilles déchirées de mon premier roman: Deux sous un seul parapluie. Soeur supérieure l'avait intercepté auprès de quelques étudiantes qui le faisaient circuler. J'en étais au troisième cahier. J'avais ajouté quelques illustrations au récit. Sœur Saint-Espérance, me confronta devant toute la classe, m'obligeant à le détruire, sinon c'était l'échec et je devais recommencer ma sixième année. Devant cette brillante pédagogie, je m'exécutai non sans rage et rancœur. Mes parents étaient consternés et incapables d'intervenir devant le pouvoir religieux sur l'éducation dans les années ‘50.

Et c'est encore un jour d'orage que Madame Aimé Jacques a frappé à notre porte pour se mettre à l'abri. Alors qu’elle était en grande conversation avec ma mère, l'orage prit de l'ampleur, les grondements du tonnerre s'entendant de plus en plus près. Soudain, simultanément, un gros éclair et l'assourdissant coup de tonnerre fit tomber sur la tête de madame Jacques les quatre marches du haut de l'escalier qui montait à l'étage et tout le plâtre du plafond dans le même secteur où elle était assise. Un gros nuage noir l'avait suivie jusqu'à notre maison.

Encore des réparations à faire pour monsieur Rosario!