Les hobos

Les hobos

jeu, 01/10/2020 - 19:21
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On pouvait lire dans le journal régional Le Citoyen, une histoire tragique ayant eu lieu en 1913, à Taschereau. Des hommes étaient descendus d’un train pour voler les marchands.

Ces derniers les avaient accueillis, comme disait Frontenac, « par la bouche de leurs canons ». S’en était suivi mort d’homme et de nombreux blessés. Dans le même temps, on pouvait aussi apprendre que notre romancière abitibienne, Jocelyne Saucier, auteure d’un roman à succès Il pleuvait des oiseaux, éditait un cinquième roman historique ayant comme décor, le Nord-Est de l’Ontario (un peu de chez nous) dont le titre est « À train perdu ».

Cela fait penser aux histoires de hobos que nous racontait mon père dans notre enfance. Ces hobos, il les avait côtoyés pendant les années de 1933 à 1935, années marquées par la grande dépression économique et par le mouvement de colonisation de l’Abitibi. Ces hobos étaient des hommes qui s’agrippaient trains de marchandise pour faire le trajet Québec – La Sarre, pour aller travailler sur une terre, s’engager dans les forêts du nord de l’Ontario ou dans les mines qui commençaient à embaucher des travailleurs.

Ils ne pouvaient pas « grimper » sur les wagons quand le train était en marche, car les policiers du Canadian National Railway (CNR) les surveillaient de près. Il y avait une technique spéciale pour le faire, technique dite « sécuritaire » par eux, mais très hasardeuse. Il fallait aller se positionner en avant de la gare et s’accrocher à l’échelle d’un wagon avant que le convoi ait eu le temps de reprendre sa vitesse de croisière. Pour cela, il leur fallait courir et atteindre le même rythme que le train, c’est à ce moment qu’on s’accrochait à deux mains au barreau de l’échelle qui se trouvait à sa portée. Le choc était parfois violent, car les pieds leur décollaient vite de terre. S’ils échappaient leur poigne, ils risquaient de passer sous les roues ou de se faire garrocher brusquement au bas du talus.

Il semblait que c’était le moyen le plus « économique » de voyager. Pour eux les tarifs ferroviaires étaient beaucoup trop onéreux, même en classe économique à bord des trains de passagers. C’était la crise économique, les gars n’avaient souvent pas une « cenne » en poche. Inutile de dire qu’ils n’avaient ni argent pour coucher à l’hôtel et manger au restaurant. Il leur fallait souvent aller chez les habitants pour « quêter » leur pitance et, malheureusement, parfois ils volaient dans les potagers, dans les granges et même chez les marchands, ce qui leur donnait mauvaise réputation.

Certains de ces aventuriers étaient quand même honnêtes malgré leur côté vagabond, leur allure déglinguée, parfois même d’une propreté douteuse. Ce dernier trait était plus particulier à ceux qui, surtout en hiver, réussissaient à se glisser dans un wagon transportant des animaux. On laissait la propreté de côté pour l’option chaleur. Plusieurs de ces hobos n’avaient pas de destinations précises. Ils parvenaient parfois, au gré de leurs voyages, à se trouver un emploi en forêt où chez un fermier, à faible salaire. Plusieurs parmi nos pionniers en Abitibi descendaient parfois, même au hasard, ayant entendu dire que le ministère de la Colonisation distribuait des terres gratuitement aux hommes qui optaient pour un des plans de colonisation offerts à l’époque.

Parmi ces hommes régnait une certaine fraternité. Ils s’entraidaient et se donnaient des trucs pour se faciliter la vie; on pourrait même dire la « survie ». On partageait le lunch qu’on avait réussi à obtenir d’une dame généreuse ou d’un riverain de la voie ferrée, sensible aux besoins de ces pauvres gueux, ayant aussi vécu des jours difficiles comme hobo lui-même. Certains poussaient l’entraide jusqu’à laisser des messages à la craie sur les parois ou sur le toit des wagons pour désigner des endroits où on pouvait obtenir de aliments, des vêtements et même des étables où on pouvait dormir avec le consentement du fermier. D’autres informaient leurs semblables des endroits où il ne fallait pas descendre, car les gens de la place étaient armés, donc l’accueil risquait d’être peu chaleureux.

Permettez, chers lecteurs, une petite digression pour finir ce chapitre.  Né à Brest en 1880, Louis Hémon, l’auteur français du célèbre roman Maria Chapdelaine, est mort à Chapleau, en Ontario, en juillet 1913 à l’âge de 32 ans, happé par un train. C’était un écrivain qui pérégrinait à travers le Canada pour écrire ses romans. On pourrait supposer qu’il avait opté lui aussi pour ce moyen de voyager. C’était aussi pour lui une façon de côtoyer des travailleurs, des aventuriers de toutes classes sociales qui lui servaient de personnages de base pour ses romans.

En 1913, les trains étaient mus à la vapeur. Ils produisaient un boucan d’enfer. C’était donc à peu près impossible qu’il ait été frappé par hasard. Pouvons-nous penser qu’il ait tout simplement manqué son coup à s’accrocher à l’échelle du wagon et qu’il ait été aspiré sous les roues du train? Ce n’est sûrement pas la compagnie du CNR qui s’est fendue en quatre pour faire l’enquête sur la mort d’un présumé hobo. Ils considéraient ces vagabonds comme parasites de leurs services que ses agents poursuivaient sans cesse pour les écarter des trains.

Si l’on vous raconte cette histoire dans nos pages aujourd’hui, c’est que nos grands-parents, pionniers de Palmarolle et des municipalités environnantes ont, dans ces années sombres de notre courte histoire, su se débrouiller pour se rendre jusqu’ici y fonder et ériger des milieux de vie qui leur ont permis de vivre et prospérer et de nous laisser un bel héritage.