Je prends ma retraite du lac Abitibi

Je prends ma retraite du lac Abitibi

lun, 06/04/2020 - 09:05
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À terme, après 23 expéditions hivernales sur le lac et une à la Baie James, et au moment où je frôle les trois quart de siècle, mon corps m’envoie des signaux que je ne dois plus ignorer.

Ces dernières années, malgré certains symptômes d’usure, ma force mentale, mon courage et ma détermination m’ont tenu sur mes skis. Néanmoins arrive l’heure de les accrocher.

Certes ça m’attriste un peu de quitter cette confrérie avec laquelle j’ai eu tellement de plaisir, partagé tant d’épreuves et d’émotions. Or je n’ai aucun regret. Pendant ces 23 années, j’ai vécu de magnifiques aventures sur le lac Abitibi. J’y ai accompagné des centaines de skieurs avec qui j’ai partagé mon expérience et mes connaissances. On s’est entraidé, on s’est requinqué tout en se racontant de petits et grands bouts de vie. Il m’en restera des souvenirs inoubliables.

Enfant, j’étais fasciné d’entendre mon père raconter comment, en 1933, il avait traversé le lac Abitibi en canot pour rejoindre Roquemaure. Il avait essuyé une sale tempête, disait-il, et avait du se mettre à l’abri à la Pointe-aux-Indiens. Dès lors, je n’avais jamais cessé de rêver de voir de mes yeux ce lac qui me fascinait tant. Cela s’est produit en 1979, lors de mon arrivée à Palmarolle. Ne restait plus qu’à l’affronter à mon tour.

Ça a débuté en 1998 quand j’ai emprunté les traces de skis du pionnier Yvon Calder. Ensuite, malgré ses fréquentes sautes d’humeur, je n’ai jamais plus hésité à défier le lac Abitibi. J’ai été en symbiose avec lui quand il m’offrait sa vastitude, son immensité, ses paysages à couper le souffle, ses centaines d’iles piquées un peu partout, ses uniques et grandioses couchers et levers de soleil.

Cependant je me suis parfois permis de l’engueuler quand il me lançait au visage une bordée de neige dressant un mur blanc devant moi.  Je l’ai houspillé quand il me fouettait les joues avec son vent du nord, ses moins 40 degrés le matin rendant mes doigts insensibles, sa surface glacée parfois où il fallait être équilibriste pour tenir debout, ses sournois trous de slush cachés sous la neige. Néanmoins, malgré ces coups bas, j’ai toujours eu un immense respect pour le lac Abitibi.

Pendant ces 23 années, j’y ai à mon tour imprimé mes propres traces. Pour l’heure, quiconque voudra les emprunter entendra peut-être le crissement de mes skis sur la neige. Et quand il trimera dur, qu’il aura envie d’abandonner, peut-être le vent lui soufflera-t-il à l’oreille le courage, la détermination et la persévérance que j’y ai imprégné pendant tout ce temps.

À tous ceux et celles que j’ai côtoyé durant ces 23 hivers, à tous mes amis(es) d’aventures, à tous ces gens qui nous attendaient fébrilement à l’arrivée, je vous dis MERCI et je n’ai qu’un mot : vous allez me manquer!