Encore le jour de l’An!

Encore le jour de l’An!

jeu, 27/12/2018 - 08:26
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Il n’y a rien de nouveau à dire sur cette journée dont on fait l’éloge depuis mille ans. On a tellement raconté d’histoires et de souvenirs de ce grand jour qu’on est à court d’anecdotes. Si on s’y aventure, on risque de tomber dans une suite de lieux communs, de clichés et même de « quétaineries » d’une mièvrerie ennuyante…

Je prends quand même le risque de le faire en soulignant les comportements et les caractères des figurants. Chez moi, le jour de l’An commençait toujours par une grand-messe. On fêtait à l’époque la circoncision de Jésus. Pour moi, enfant, la circoncision de Jésus je n’y voyais aucune raison de festoyer après que ma mère nous eut expliqué en quoi consistait cette pratique. Je me voyais à la place du petit Jésus, me faire raccourcir le zizi par un vieux barbu, avec une lame de rasoir, devant une foule de dévots et de voyeurs…

La seule raison de mon plaisir était dans le repas du midi que ma mère donnait ce jour-là à toute la parenté. Eh oui! les tantes, les oncles, les cousins et cousines allaient tous, après la messe, atterrir chez nous. Les uns arrivaient du village en bombardier, ceux du Rang 4 en carriole et mon oncle Ti-Ken lui, arrivait à pied, demeurant à quelques arpents de chez nous. Une fois la porte ouverte, ça déboulait dans la maison. Comme ils arrivaient tous à la même heure, on ne pouvait la refermer avant que le dernier eut franchi le seuil, ce qui provoquait un nuage de vapeur blanche qui remplissait la cuisine et débordait jusque dans le salon.

Et là commençait la litanie des vœux de « Bonne et heureuse année!». La même formule se répétait des uns aux autres : «Je te souhaite du bonheur, et de la santé, la santé c’est bien important, etc.» Moi j’étais encore étudiant; on ajoutait donc : «Ben du sucça (sic) dans tes études!» Et venaient avec ça les becs mouillés des tantes, façon efficace de transmettre la grippe en même temps que les vœux de bonne santé. Et, comme on dit dans la chanson : «On se donne la main, on s’embrasse, c’est l’bon temps d’en profiter». Les «mononcles» embrassaient leurs belles-sœurs avec un peu plus d’insistance que leur épouse, mais c’est surtout les nièces, adolescentes, qui parfois faisaient les frais d’un bec un peu plus mouillé. Mon oncle Robert en profitait même pour frôler de sa langue les lèvres fermées hermétiquement des nièces et aussi celles de ma sœur qui le détestait profondément.

Une fois que tous les manteaux eurent été déposés sur le lit de la chambre à coucher la plus près de la cuisine, c’était l’appel pour le repas. Ma mère, l’hôtesse du jour, assignait une place pour chacun des convives, les hommes à une table, les femmes à une autre table et, nous, les enfants sur la rallonge des deux tables déjà en place. Ça s’alignait du nord au sud, d’un mur à l’autre, occupant à la fois le salon et la cuisine.

Moi, ce qui me fascinait, c’était la conversation des hommes. Mon oncle Alex était le plus facile à suivre puisqu’il ne disait rien. Il écoutait les autres, se contentant de rire et de replacer son dentier qui risquait à tout moment de se retrouver dans son assiette. Le plus intéressant était mon oncle Étienne, surnommé Ken, un grincheux. C’était le riche de la famille et la finance, c’était son point fort.  Il  avait fait fortune dans le commerce de la pitoune qu’il achetait des colons pour la revendre de l’autre côté de la frontière, à Iroquois Falls. Il vendait aussi des appareils ménagers, des instruments aratoires, des outils et tout le barda nécessaire à la maison comme à l’étable. Si on avait besoin d’un frigidaire, on allait voir Ken pour en négocier l’achat. Mon oncle Ken était bien d’adon. Il disait : «Pour un frigidaire, ça va être 12 cordes de pitoune».

«Ouin mais, répondait le client, j’ai ben du bois sur ma terre, mais comment je va faire pour te donner 12 cordes de pitoune?»

«Pas compliqué mon ami, je va te vendre une chain saw, t’auras juste à en faire 10 cordes de plus.»

Quelle aubaine! Le bonhomme sortait du bureau enchanté de sa transaction; il n’avait qu’à couper 22 cordes de bois et il devenait propriétaire d’un frigo et d’une chain saw.

Mais celui que je préférais entendre, c’était mon oncle Louis, petit homme, vigoureux et imaginatif. Il expliquait aux autres comment il s’était installé un écureur d’étable avec un différentiel et une transmission de camion. Il aimait bien donner des détails techniques. Il expliquait la vitesse et la force de son invention en parlant de ratio entre les engrenages et de l’art d’embrayer la transmission sans avoir besoin d’une «clutche». Aucun des oncles ne comprenait ses théories, mais on l’écoutait, et à défaut de compréhension, on lui accordait beaucoup d’admiration pour son grand savoir. Moi, j’aimais bien les propos de l’oncle Louis, contrairement à mon père qui était un analphabète de la mécanique. Le discours de mon père souvent consistait à parler de coopération, de coopératives. C’était son dada; apôtre de ce mouvement à la mode dans les jeunes municipalités où tout était à faire, la coopération et l’entraide étaient essentielles à la réussite de la mise sur pied d’une économie florissante, grâce à l’agriculture qui était avec la religion catholique les deux piliers du succès,

Et à la table des femmes on parlait d’école… Eh oui, l’école c’était le centre d’intérêt pour quatre d’entre elles. N’étaient-elles pas venues, les trois sœurs et une cousine, de «par en bas» en 1935, comme enseignantes dans cette jeune colonie appelée Sainte-Anne-de-Roquemaure. On élaborait sur le nouveau programme implanté cette année-là par le département de l’Instruction publique ou de la dernière édition du nouveau catéchisme catholique, qui remplaçait l’ancienne, LE Petit catéchisme catholique datant de 1924. On appréciait sa nouvelle présentation, les questions étaient les mêmes, mais les réponses étaient plus courtes et plus appropriées au vocabulaire des enfants, c’est ce qu’elles disaient…

Quant à moi, au beau milieu des vacances de Noël, j’essayais d’oublier le plus possible l’école et, comme tous les autres enfants, nous nous dépêchions de finir notre sorbet de Jell’O jaune, rouge et vert recouvert de crème fouettée et de confiture aux fraises, le tout accompagné d’une spirale de gâteau roulé, pour aller jouer au deuxième étage de la maison à l’abri de la surveillance des adultes. On en profitait pour se tirailler comme on disait, à la place de chamailler. C’était aussi l’occasion de sortir nos jouets reçus à Noël pour les partager avec les cousins, mais aussi pour les faire briser, ce qui occasionnait parfois des disputes et des échauffourées. C’est à ces occasions que parfois l’un d’eux se faisait bousculer et tombait en déboulant dans l’escalier, en criant de manière à alarmer toute la maisonnée. Les mamans affolées accouraient sur les lieux de l’accident où chacune posait son diagnostic, pour finalement arriver à la conclusion qu’il n’y avait rien de grave. On retournait donc l’éclopé d’où il venait, c’est-à-dire, en haut, avec les autres, en attendant qu’une autre alarme se déclenche. Puis, après s’être empiffrés de bonbons, de sucre à la crème et de «pinottes à écales», on entendait la voix des oncles qui commandait aux enfants de descendre se «gréyer» pour le départ. Il fallait bien rentrer à la maison, car ce serait bientôt l’heure du train; les vaches, que ce soit le jour de l’An ou une autre journée, elles avaient, elles, le même devoir: répondre «à l’offre et à la demande» et se soulager le pis… Par politesse, les hôtes de la maison disaient : «Y’a rien qui vous presse, amusez-vous encore un peu» ou «Prenez le temps d’en fumer une dernière».  Mais au fond d’eux-mêmes, ils étaient bien contents de voir la maison se vider pour ramasser les vestiges de la journée.

Voilà une courte caricature du jour de l’An chez moi, en 1955, peut-être un peu personnalisée, mais je suis certain que vous, chers lecteurs, y trouverez des similitudes avec les «Premier de l’an» de votre enfance.

 Et sur ce, heureuse année à vous tous abonnés du Journal Le Pont de Palmarolle!

N.B. – Les personnages de ce récit sont réels, mais par discrétion, les noms ont été changés.