Oui, bien sûr, les technologies présentent des avantages certains; apprécions-les grâce à leurs multiples applications possibles mais soyons réalistes quant à leurs réelles intentions, souvent mercantiles. Ces découvertes consomment, elles aussi, des énergies dont l'éventuelle absence-panne-extinction nous laisserait pantois de réalisme quant à notre dépendance...

Les arguments de la futurologie contre le livre-papier peuvent être facteurs de changement en ce qu'ils questionnent la pertinence de l'accumulation de masses de papier qui envahissent l'espace et qui semblent dormir à l'année longue quand ils ne sont pas lus. Car les livres ont toujours besoin de plus d'espace... ainsi, le dilemme existe tant pour la légitimité du lecteur en manque de temps pour justifier son abonnement aux écrans que pour celle du lecteur en manque d'espace pour justifier son amour du livre-papier en abondance de choix et l'expérience physique émotive qui accompagne ses lectures.

En bibliothèque publique, les bibliothécaires gèrent tant bien que mal ces biens culturels matériels suivant des critères qui leur sont dictés par ailleurs. Ils font une sélection arbitraire, mais non exempte de cadres, comme ceux que leur imposent, entre autres, les références de culture générale quantifiables ou qualifiables des abonné(e)s de leur collectivité. Ainsi, la non-circulation de certains livres peut devenir un critère d'élagage, car il faut pouvoir accueillir les nouvelles parutions. À lui seul, le manque d'espace aura peut-être pour conséquence un appauvrissement de la collection et, par dizaines, des livres se verront rejetés, abandonnés ou mis en vente pour presque rien. De véritables trésors trouvent ainsi les rayons lumineux de bibliothèques plus personnelles, telles les nôtres. Le mental est déjà saturé de la mémoire que nous gardons des livres lus et relus, mais la faim reste insatiable... ainsi, ces livres qui nous caractérisent revivront à travers les nouvelles interprétations que nous en ferons selon nos expériences variables de lecteurs... Comme la toile d'un(e) peintre, le livre offre plusieurs lectures...

L'expérience physique de la lecture d'un livre papier reste irremplaçable. Le texte sur le support papier versus celui sur le support écran sont deux expériences qui ne s'équivalent pas. Sachant que le degré d'alphabétisation de la population en général n'est pas aussi élevé qu'on nous le laisse croire, on déplore dans les milieux universitaires, cette espèce de déconnection d'avec le sens d'un texte, d'avec sa profondeur, comme si le simple fait de savoir additionner des paragraphes pouvait suffire à convaincre le maître enseignant de la compréhension d'un concept précis par l'étudiant(e). Les applications des technologies ont beau permettre l'accès instantané à des citations de grands auteurs, à des textes extraits de leurs essais, études, recherches ou romans, elles soustraient quand même à notre compréhension tout le contexte d'une lecture si elle est incomplète, suite à quoi elles ne prétendent pas à l'érudition du lecteur. L'absence de cohérence dans les liens peut en révéler les lacunes. L'accès au patrimoine intellectuel mondial, grâce aux technologies, pose une exigence : la preuve que le lecteur qui les utilise est capable de démontrer, grâce à ses seules capacités intellectuelles et référentielles, qu'il a réellement intégré les connaissances auxquelles il a eu accès électroniquement. Le bon lecteur peut réagir au texte qu'il a lu s'il a pu développer son sens critique, car il n'est pas exclus qu'il veuille défendre un point de vue différent et voir de ce fait s'élargir le débat sous la seule condition que la libre expression implique l'ouverture de part et d'autre. Précisons qu'elle n'est pas le dénominateur commun à tous. Par ailleurs, réjouissons-nous d'avoir encore accès au livre-papier des bibliothèques publiques pérennes...