Textiles à fleur de peau

Textiles à fleur de peau

ven, 06/03/2020 - 10:11
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Sensible à la beauté des beaux outils, on s'arrête volontiers pour admirer les travaux des tisserandes, des tricoteuses, des couturières, etc. Sans doute possédons-nous dans nos penderies quelques trésors qui datent d'un autre âge, puisqu'il est probable que celles qui les ont fabriqués ont quitté ce monde depuis belle lurette.

Nos mères et nos grand-mères ne manquaient pas de talent pour harmoniser les couleurs avec économie et originalité en des nappes de lin superbes, des catalognes qui donnaient une deuxième vie à d'anciens draps, de vieux rideaux ou de la laine dont les couleurs éteintes pouvaient encore prendre place les unes à la suite des autres sur un métier cent fois repris les jours de grisaille pour tromper la monotonie…

Ce faisant, elles s'évadaient du quotidien pour créer de toutes pièces de nouveaux outils utiles à toute la maisonnée. Encore fallait-il que beaucoup de temps leur soit consacré. Mais justement, ce temps en dehors du monde leur était par nature très précieux. Elles s'appliquaient à l'apprentissage d'un artisanat séculaire transmis de génération en génération et elles y trouvaient certes beaucoup de plaisir.

Le savoir faire, la maîtrise, le sens profond des choses, le dépassement de soi acquis à force de travail les disposaient à accepter que la vie soit ce qu'elle était, c'est-à-dire rude et exigeante, pauvre et pourtant pleine de ressources, à condition que rien ne soit rejeté s'il pouvait être recyclé et que la coopération et la solidarité puissent présider au partage et à l'élaboration de toutes sortes de projets.

Les cercles de fermières, encore actifs aujourd'hui accueillent volontiers les jeunes femmes intéressées à ces merveilleux loisirs que sont les textiles. L'entraide est effective et bienvenue; les enseignements aussi. Toutes ces qualités de la vie communautaire prédisposent à l'inspiration, aux aspirations les plus nobles, à la création elle-même pour voir entre ses doigts et sous ses yeux se concrétiser les plus beaux objets et être remplie de gratitude parce que quelque chose s'exprime là, qui serait resté lettre morte si le contexte ne l'avait pas permis…

Le lit confortable qui nous accueille tous les soirs dans de chaudes et enveloppantes couvertures de laine tissées serré par une ancêtre ne redevient-il pas l'utérus bienfaisant comme un refuge où le sommeil apaise et régénère, dénominateur commun à tous les humains…

Ne sous-estimons pas l'importance de ce temps qu'on choisit de consacrer à un loisir plutôt modeste et solitaire mais qui n'en est pas moins intime à l'être que nous sommes, pour les liens qui se tissent, sans jeu de mots, entre le corps, le fil et l'esprit, afin de tracer un chemin vers l'intériorité. C'est le corps qui monte la chaîne mais la trame, bien qu'activée et mise en forme par des mains agiles, échappe à l'entendement et rejoint volontiers l'esprit libre. Elle ne se conforme pas toujours à un dessin, bien qu'elle puisse être planifiée d'avance. Elle est plutôt de l'ordre de l'inspiration qui vient d'on ne sait où, mais peut-être aussi, comme le disait Kandinsky, d'une nécessité intérieure, de quelque chose qui ne fait qu'obéir à un impérieux besoin d'expression artistique.

C'est alors que la créativité entre en jeu, avec force couleurs, joie et liens qui libèrent. Elle peut mener très loin, voire de l'artisanat aux métiers d'art, pour peu que la recherche de profondeur ne connaisse pas de limite. Cette pratique régulière devient une méditation qui conduit vers la découverte de soi et une infinie gratitude pour la paix qu'on peut y trouver. Merci à ces femmes qui ouvrent la voie pour la suite du monde.