Un œil sur les anciens métiers offre encore cette faculté de ressusciter d'anciens outils fort utiles, souvent fabriqués à la main, au couteau, à la hache. Comme le besoin crée l'invention, plein de pièces de bois deviendront des manches adaptés aux différentes lames produites à la forge par le forgeron, ancien métier lui-même. L'outil présenté ici n'est autre que le joug, indispensable aux porteurs d'eau d'une époque révolue. Il désigne d'abord une pièce de bois posée sur l'échine d'animaux de trait de force égale, une forme d'attelage leur permettant de tirer une charge, un chariot par exemple. Il fait aussi référence à une tout autre pièce de bois sculptée servant à rendre plus confortable le portage de deux seaux d'eau qu'on suspendait aux deux extrémités de cet outil installé sur les épaules du porteur derrière son cou, grâce à une échancrure permettant confort et stabilité et facilitant le transport de l'eau du puit à la ferme. La plupart des canots sont pourvus en leur centre de jougs à des fins de portages éventuels d'une étendue d'eau à une autre. Nous le regarderons non pas sous son angle fonctionnel, mais sous son angle étymologique, non pas au sens propre, mais au sens figuré parce que digne d'intérêt.

JOUG : n.m. Contrainte matérielle ou morale, servitude, soumission totale, asservissement résultant d'une défaite, sujétion, servilité, obéissance aveugle.Comme vivre sous le joug de quelqu'un, d'un employeur, d'une autorité ou... d'un(e) conjoint(e). Les mots conjoint, conjugal,conjugable, conjugaison, conjuguer comme conjuguer nos efforts en vue d'un résultat sont de la même famille étymologique que le mot joug. Évidemment, les époux vivant en conjugalité ne subissent pas forcément de contrainte matérielle ou morale ni de servitude ou de soumission totale, etc. Dans certains pays, cela existe pourtant, au point que des droits fondamentaux sont bafoués. L'auteur Ampère décrivait ainsi la résistance qui permettait d'échapper au joug : Un commencement d'indépendance, un effort de la pensée pour suivre sa voie, pour se soustraire insensiblement au joug de l'autorité. Dans son livre Un épisode sous la terreur, Victor Hugo écrivait en 1831 : Quand on est sous le poids d'un grand malheur ou sous le joug de la persécution, l'homme courageux commence pour ainsi dire par faire le sacrifice de lui-même. Il ne considère ses jours que comme autant de victoires remportées sur le sort.

Maintenant, voyons plutôt tout le positivisme que peut évoquer le joug. Il peut aussi symboliser l'engagement profond et durable, celui qui prend fin une fois la mission accomplie. Le porteur d'eau ne peut se décharger du poids qui fait ployer ses épaules qu'une fois parvenu au lieu de livraison. La vie conjugale demeure quant à elle un engagement sérieux, parfois l'histoire de toute une vie consacrée au bien commun. Un engagement équitable sans contrainte matérielle ou morale garantira le succès de l'entreprise où les efforts de l'un et de l'autre auront été conjugués en vue du résultat souhaité. Autrement, tout peut pour ainsi dire basculer, quand la charge devient trop lourde, quand la douleur s'installe, quand l'un des deux seaux se vide en cours de route... ou que l'attelage et la charge ne sont assumés que par un(e) seul(e). Seuls ou à deux, tous nous sommes porteurs d'eau. Envers et contre tous nous portons sur les épaules notre raison de vivre et de nous accomplir.

Le fait d'avoir recours à l'étymologie et aux familles de mots permet souvent une vision plus large des choses. Amusons-nous à regarder deux fois plutôt qu'une les mots kaléidoscopiques.