Ma quille

Ma quille

lun, 18/03/2024 - 08:46
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C'est ma première assurance, durable et efficace. Sans elle, je vacille ou je chavire. Je vérifie régulièrement qu'elle est bien en place.

Elle ne change pas de forme, mais elle présente plusieurs faces, donc plusieurs angles, au gré de ma fantaisie. Au bord des larmes, je reprends les rames et je corrige vite la direction puis... je laisse couler. Je prends le temps qu'il faut. D'accord pour descendre au fond du puits lorsque nécessaire, voir s'il est à sec. Mais, sans la garantie de retrouver le bout de la corde permettant de remonter avant de manquer d'air, vaut mieux éviter la descente aux enfers...

Revenons plutôt à la quille.

Comme nous le rappelle Jean-Louis Servan-Schreiber dans son livre Aimer (quand même) le XXIe siècle,

La quille est invisible, mais indispensable à la direction de l'esquif et à sa stabilité. Antichavirage et antidérive : deux précieuses sauvegardes pour la navigation au long cours de la vie. (page 64)

Alors nous y voici : direction et stabilité. La meilleure manière de se reconnaître soi-même quoi qu'il arrive. Se rappeler d'où l'on vient et qui l'on est. Avec le temps, nos racines, nos origines peuvent, comme la quille du bateau, devenir invisibles. Mais il est inutile de vouloir les nier ou les cacher puisque c'est notre point de départ. Notre identité, les références à l'enfance nous suivent toute notre vie. Toutefois, que cela ne nous empêche pas de changer. La vie que nous aurons choisie s'occupera de nous définir. Du reste et quoi qu'il en soit, les expériences, les découvertes, la fréquentation des humains tout au long du parcours impliquent des influences, de l'ouverture, du renouveau, de la complicité mais surtout, l'authenticité. Faire semblant d'être autre que soi-même est exclu, mais le temps que dure la vie nous est imparti pour devenir celui ou celle que nous devions être. Paul Valery :

Les humains se distinguent par ce qu'ils affichent et se ressemblent par ce qu'ils cachent.

Maintenant que le paraître devient la norme et que l'avoir prétend définir l'identité, le faux-semblant ambiant peut-il encore nous duper? Comment reconnaître nos alliés, nos semblables? Malgré le contact désormais essentiellement établi par la technologie, si la rencontre est encore possible et souhaitable et que la profondeur remplace enfin la superficialité, nous nous reconnaîtrons. Sans artifices, sans complaisance, par la leçon d'humilité que nous servent tôt ou tard nos errances et nos dérives, nous sommes révélés à nous-mêmes et aux autres. Les vrais amis demeurent, comme un ancrage.

Les outils, arts et culture, sont nombreux et fertiles en découvertes capables de questionner notre direction. Grâce à eux, si nous les maintenons dans le temps, si nous les gardons vivants comme les meilleures habitudes, nous pouvons nous situer et voir où nous en sommes. Ils nous en apprennent sur nous-mêmes dans la persistance et la fermeté, nous rassurent dans la durabilité à travers les saisons et sont la preuve de notre stabilité. Ces outils d'évolution qui nous suivront seront d'autant mieux définis que nous y aurons mis tout l'amour que nous inspirent la vie et les beaux humains rencontrés. Toute la vie durant, ils seront nos références. La quille du navire dont nous sommes toujours les capitaines.