Le voyage se fera en douceur puisque nous tenons le volant ou les rames, sans vraiment connaître la direction où nous allons. Nous installerons le rythme qui nous convient. Nous choisirons le moment de la journée, un temps en dehors du temps où nous pourrons vivre l'histoire d'un(e) autre par procuration. On dit parfois :  J'aimerais être un petit oiseau pour être témoin de ceci ou de cela... Le roman nous donne l'occasion, la chance! de pénétrer dans l'inconnu pour apprendre, dès la première de couverture écartée. Le livre ainsi ouvert devient alors une fleur qui étale ses pétales pour nous mener jusqu'au ravissement. Au fait, nous apprenons sur nous-mêmes surtout, dans ce voyage à l'issue incertaine...

Le principal intérêt pourrait ressembler au dépaysement, au choc culturel attendu à l'évocation du seul titre. Nos repères seront ébranlés à l'usage d'un vocabulaire propre au style de l'auteur. Nos valeurs seront mises à l'épreuve. Mais ces ressentis sont autant de portes ouvertes sur une forme d'expérience comme virtuelle, car nous ne sommes pas les protagonistes, mais bien les témoins d'une histoire inscrite dans l'espace-temps d'un imaginaire qu'on espère riche et foisonnant. Sans être impliqués directement, nous le sommes indirectement et voilà bien le grand privilège dont nous pouvons tirer parti, pour peu que la trame et la chaîne nous rejoignent. En tant que témoins, nous suivons le fil de l'eau qui coule de source. Nous embarquons. Nous ramons même avec l'auteur parfois. Nous pouvons être littéralement soulevés... ou attirés dans les profondeurs de notre être intérieur, en lutte avec le sujet, le verbe et le complément. Les émotions suscitées nous transportent. Parfois, ce n'est pas de tout repos. Alors, refermons le livre et respirons un grand coup. Restons bien assis et revoyons la scène. Nous sommes suspendus en l'air. Nous connaissons le passé de l'aventure, mais la suite nous est encore inconnue. Prenons le temps de digérer ce que nous avons intégré de sucré, de fade ou d'indigeste.

Qu'on le veuille ou non, cette immersion questionne nos intérêts, notre culture, nos repères et nos valeurs. Commence alors une introspection. Avec cette remise en question, le doute peut s'immiscer. Quelle est notre position en lien avec le déroulement des faits dans cette histoire? Où nous situons-nous? Souvent, tout se passe dans l'inconscient et nous savons d'avance reconnaître notre degré d'ouverture ou notre complicité avec tel personnage... Notre humanisme trouve alors sa définition dans la compréhension que nous avons des événements, des gestes posés, des paroles proférées par l'un ou de celles chuchotées par l'autre... nous avons pris connaissance des contextes qui ont précédé leur émergence et nous recevons par le fait même des éléments qui font appel, entre autres, à notre sens de la justice, à notre sens du devoir, au bien commun, allant de la morale à la censure et quoi encore? Les seules limites sont celles de l'imagination et, à ce titre, les mots de l'auteur(e) évoqueront des images dont vous seul(e)s, selon vos références, connaîtrez le fond et la forme...

Voilà pourquoi on refermera un roman aimé avec tristesse au cœur parfois, sinon avec nostalgie, pour tout ce qu'il nous aura apporté. Sensations fortes, confirmation de la justesse de nos sentiments dont celui de reconnecter avec le vrai sens de la vie, subtilité de certains énoncés, découverte d'aspects de la vie intérieure, plénitude, ravissement, désir de relire un paragraphe, un chapitre ou tout le roman qui nous aura révélés à nous-mêmes dans nos errances comme dans nos certitudes. Il se peut même que nous vivions une forme de deuil à la suite du geste de refermer le livre au terme de la lecture...