Les nouvelles indulgences

Les nouvelles indulgences

mer, 04/12/2019 - 17:12
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Du 16e siècle et ce jusqu’au milieu des années ’60, les Catholiques, pour éviter l’enfer ou réduire leur temps passé au purgatoire, s’achetaient des indulgences, soit en versant de l’argent à l’Église, soit en y prêtant leurs bras.

Ces indulgences consistaient en des crédits qui étaient soustraits de la valeur de leurs péchés. Au milieu des années ’60, constatant que ces indulgences étaient devenue trop commerciale et une excuse facile pour commettre des impiétés, le Vatican mit fin à ces «crédits péchés».

Mais voilà que nos gouvernements ont ressuscité la formule : ce sont les crédits carbone… Se sauver dans le Sud l’hiver, conduire un VUS, chauffer au bois  ou même manger un steak paraissent désormais suspects. Le moindre vice environnemental  devient une source honnie de gaz à effet de serre. Or vous pouvez maintenant avoir rémission de vos «péchés carbone», soulager votre conscience en achetant des crédits qui diminueront ou annuleront votre empreinte carbone.

Pour obtenir ces nouvelles «indulgences», n’appelez pas le curé; il ne vous sera probablement d’aucun secours. Il existe plutôt une solution aussi simple que méconnue : l’achat de crédits carbone sur le marché de la compensation volontaire.

D’abord c’est quoi un crédit carbone?  C’est une sorte de contrat par lequel on paie quelqu’un – un organisme sans but lucratif qui plante des arbres en Abitibi, une entreprise qui recycle des contenants de plastique contaminés par des hydrocarbures (le litre d’huile vide), ou même un promoteur éolien de la Nouvelle-Calédonie –pour qu’il réduise les émissions de gaz à effet de serre à notre place. Tel le curé qui distribuait des indulgences à ceux qui lui prêtaient leurs bras, vous payez quelqu’un pour qu’il réduise sa propre empreinte polluante annulant du coup votre péché environnemental.

Sur Internet, des courtiers servent d’intermédiaires pour l’achat de ces crédits. Par ailleurs, au Québec, Pierre-Olivier Pinaud, de HEC Montréal, recommande une entreprise, Will Solutions ainsi que le programme Planetair.  Les crédits issus des projets offerts par Planetair et Will Solutions coûtent entre 29 $ et 50 $ par tonne de CO² éliminée ou séquestrée.

Quand devriez-vous acheter des crédits carbone? Pour un steak, ce n’est pas la peine d’y penser. Mais pour un séjour à Cuba, c’est une autre paire de manche. Le vol aller-retour Montréal-Cuba vous rendra responsable de près d’une tonne de CO². Lors de la dernière campagne électorale, le premier ministre Trudeau a utilisé deux avions pour sillonner le pays. Interpellé là-dessus au débat des chefs, il a affirmé avoir acheté des crédits carbone équivalant aux émissions de CO² des deux avions.

Vous allez dire à quoi ça sert d’acheter un crédit afin que quelqu’un d’autre annule à ma place l’empreinte que j’ai laissée? Le CO² demeurera toujours au même niveau, direz-vous? Et vous avez raison, voilà une bonne question! C’est comme si toutes les parties de hockey finissaient par une nulle… Il n’y aurait jamais de premier ni de dernier. Personne n’avance mais personne ne recule non plus. Même chose pour le CO². Selon cette formule, non seulement il n’augmente pas mais aussi il ne baisse pas.

C’est pourquoi acheter des crédits carbone pour compenser vos émissions ne vous libère pas de votre responsabilité face à l’environnement. À prime abord, la meilleure façon de neutraliser ses émissions de carbone est de ne pas en produire du tout. Prendre des vacances près de chez-soi, opter pour un véhicule électrique, remplacer le chauffage au bois par l’électricité sont autant de moyens de réduire efficacement son empreinte. Acheter des crédits devrait être un dernier recours. C’est comme l’usage du plastique : c’est bien de recycler, mais c’est encore mieux de ne pas en consommer.

Et si entretemps vous commettez un péché environnemental «véniel», plantez un arbre dans votre cour. Mais s’il est «mortel», appelez un «curé» du carbone et achetez des crédits. Votre conscience s’en trouvera quelque peu soulagée.